Cogito, autem non sum ! Je pense, mais je ne suis pas!

26 février 2014

Cogito, autem non sum ! Je pense, mais je ne suis pas!

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Diomande N. Berole, 10 ans, brandit fièrement son acte de naissance fraîchement acquis à Bandoukou  en Côte d’Ivoire. 

J’ai relu cette semaine pour la énième fois le discours de la méthode de René Descartes qui est l’un de mes livres de chevet préférés. Mais, contrairement aux autres fois, en relisant, cette fois-ci, sa célèbre pensée : « Je pense donc je suis », je n’ai pas pu empêcher mon esprit de penser à ces milliers d’Africains qui pensent sans être, ces Africains qui existent physiquement, sans exister légalement, ces Africains qui font le nombre sans être du nombre, ces Africains fantômes, étrangers dans leur propre pays. Cette réalité qui pose plus globalement la problématique de l’état civil des pays africains est un drame sur lequel il urge que  le continent se penche sérieusement.

L’enfant est au centre des valeurs fondamentales humaines et en Afrique. Plusieurs cérémonies et festivités plus où moins fastes sont organisées le jour du baptême coutumier qui  accompagne presque toujours la naissance de chaque enfant comme le veulent nos traditions.

En basculant de la civilisation traditionnelle dans la civilisation moderne avec la colonisation, les Africains ont tacitement opté pour une série de valeurs dont l’importance n’est pas toujours bien perçue par tout le monde. Parmi ces valeurs, on trouve en bonne place, la déclaration de naissance d’un enfant à l’état civil.

Ainsi, à côté de toutes les cérémonies rituelles ou coutumières qui entourent la naissance d’un enfant, la déclaration de naissance de l’enfant devant l’officier de l’état civil devient une formalité administrative hautement capitale. Ce dernier doit enregistrer la naissance de l’enfant sur les documents de l’Etat et délivrer aux parents une pièce d’état civil ou acte de naissance de l’enfant. C’est dorénavant ce document qui rend à l’enfant son identité, préserve ses droits et son avenir. Il est la preuve légale unique de son âge, de sa filiation biologique, de son identité et de sa nationalité. C’est lui et lui seul qui atteste de celui que l’individu prétend être et seul ce qu’il dit compte. Concrètement donc, c’est l’acte de naissance qui établit la vérité légale sur la réalité objective que constitue l’individu.

En définitive, la déclaration de l’enfant à l’état civil constitue une formalité plus capitale que le baptême, la présentation  ou l’initiation de l’enfant. Cette déclaration de naissance se fait devant l’officier de l’état civil dans les mairies, les sous-préfectures ou les communes selon les pays. Dans tous les cas, où qu’on se trouve en Afrique actuellement, il y a  une administration plus ou moins proche pour inscrire son enfant sur le registre de l’Etat et lui donner un acte de naissance.

Mais, cinquante après les indépendances, peut-on dire que toutes les naissances sur le continent sont enregistrées  ? La réponse est hélas, non !

Un mal profond

Pour les citadins qui ne sont pas confrontés à ce problème, la question semble sans intérêt. Mais dans les couches rurales qui forment l’essentiel des sociétés africaines, l’identification des individus nécessite souvent les jugements supplétifs d’acte de naissance. Avec l’exode rural et les migrations tous azimuts, ce drame est plus proche de soi qu’on ne le pense souvent, car les personnes démunies d’acte de naissance font partie de l’environnement de chaque Africain. C’est le cousin, le voisin ou de simples connaissances, voire des personnes au-dessus de tout soupçon.

Dans le film de sensibilisation “Rêves brisés“,  réalisé par Idrissa Ouédraoguo, et présenté au Fespaco 2007, on y apprenait déjà qu’en Afrique occidentale et orientale, un enfant sur quatre n’a pas de pièce d’état civil.

Selon l’Unicef en 2008, au  Burkina Faso, par exemple, on comptait 5, 5 millions d’enfants sans acte de naissance sur une population d’environ 15 millions d’âmes. A  Madagascar, le phénomène existe aussi avec 2, 5 millions d’enfants sans acte de naissance, donc sans existence légale.

L’année 2009 fut dédiée par les Nations unies à la réhabilitation des naissances avec un soutien aux Etats africains pour donner une existence légale à tous les enfants. Pourtant, année après année, les statistiques se suivent et se ressemblent.

A l’occasion de son 67e anniversaire, le 11 décembre 2013, l’Unicef dévoile dans un nouveau rapport que dans le monde un enfant de moins de cinq ans sur trois… Soit 230 millions d’enfants de moins de cinq ans n’ont jamais été déclarés à leur naissance. En Afrique, les cinq pays au plus bas niveau d’enregistrement des naissances sont : la Somalie (3 %),  le Liberia (4 %), l’Éthiopie (7 %), la Zambie (14 %), le Tchad (16 %), ce qui indique que la grande majorité des enfants de ces pays sont sans acte de naissance.

Comme on peut le constater, les personnes démunies d’acte de naissance représentent une frange non négligeable de la société africaine. Elles ne sont présentes sur aucun registre des Etats. Elles naissent, grandissent et meurent dans l’anonymat total. Une situation dans laquelle elles sont bien souvent sans le savoir et presque toujours sans le vouloir.

Le drame est que les parents nés pendant la période coloniale ont des actes de naissance ce qui n’est pas le cas de leurs enfants nés après les indépendances.

Les causes multiples

D’une manière générale, plusieurs facteurs expliquent le faible taux des déclarations des naissances en Afrique. Il y a d’abord la méconnaissance par les parents et les communautés surtout rurales de l’importance de l’état civil dans vie de l’individu et donc de l’intérêt de l’enregistrement des naissances.

En outre, beaucoup de parents dans les pays concernés ne donnent simplement pas la priorité à cette formalité, étant donné qu’ils doivent déjà faire face à plusieurs autres défis quotidiens.

Plusieurs  parents, en effet, se contentent, de bonne foi, des fiches de naissance délivrées par la maternité et  se rendent compte de sa caducité longtemps après.  D’autres, en revanche plus informés ont peur des amendes encourues par les parents une fois dépassé le délai limite pour déclarer un nouveau-né qui varie de 15 jours à 60 jours selon les pays. Et cela sans compter  l’éloignement et le manque de moyens des services d’état civil.

A ces différents facteurs, s’ajoutent les conséquences de plusieurs années de crise sociopolitique dans différents pays.  En temps de guerre, la déclaration de naissance devient  impossible, même aux parents qui voudraient bien le faire. Avec la série de crises qui a frappé le continent et la quasi-dislocation des Etats sur l’arc Mali, Libye, Soudan, Centrafrique, RDC, le nombre des déplacés et réfugiés de l’intérieur ne cesse de croître sur le continent et avec lui le nombre d’enfants non enregistrés.

Toutefois, les guerres, l’éloignement n’expliquent, qu’en partie, cette déplorable situation. Le phénomène concerne, en effet, des personnes nées en période de paix et s’observe aussi  dans des pays tels que le Bénin ou le Burkina Faso qui n’ont pas connu de guerre dans un passée récent. Aussi la cause de  l’ignorance ou la faible importance accordée à ce bout de papier par ces personnes chez qui les considérations de la civilisation écrite perdent du terrain face aux coutumes de la civilisation orale.

Des conséquences multilatérales

Pour l’Unicef, « un enfant sans acte de naissance est un enfant qui n’a pas de nom, de nationalité, d’accès à l’éducation et à la santé, y compris à la vaccination, de protection contre les éventuels abus et violations de ses droits.

L’état civil a deux fonctions principales,  l’une administrative et l’autre statistique.

Au point vue administratif : « Un enfant sans acte de naissance n’est pas un citoyen, mais un fantôme! ». L’Unicef rappelle que bien plus qu’une formalité, être reconnu par son pays est un droit sans lequel les enfants deviennent la proie de tous les abus

Du point de vue statistique, un pays qui n’est pas en mesure de  connaître le nombre de ses habitants aura toutes ses données  macroéconomiques faussées et par conséquent devient lui aussi, petit à petit, débordé par des problèmes sociaux qu’il n’a pas vu venir.

Les mesures  à l’ordre du jour

La plupart des Etats africains ont entrepris ces dix dernières années d’importants changements dans le fonctionnement de leur  SEC. Le but de ces réformes étant de répondre aux défis de la modernité et d’améliorer l’offre de statistiques.

Des audiences foraines  soutenues par des financement  de l’union européenne ou des UNICEF ou d’autres types de procédures locales sont réalisées dans plusieurs pays africains (Bénin, Niger, Cameroun, Cote d’Ivoire, Nigéria, Ouganda, …)  afin que ses personnes sans papier puisse  bénéficier d’un jugement supplétif, qui leur permettra de se faire établir un acte de naissance, puis un certificat de nationalité avant la carte nationale d’identité ou la carte électorale.

L’UNICEF utilise des approches innovantes pour appuyer les gouvernements et les communautés dans le renforcement de leurs systèmes d’état civil et d’enregistrement des naissances y compris dans certains camps de réfugiés comme ici dans le camp de Tabareybarey    Niger


tumblr_inline_mxphsxiFSQ1s5i37lDes  mamans exhibant les actes de naissance de leurs enfants après l’audience, le 9 /12/ 2013, camp de réfugiés de Tabareybarey.  UNHCR

Toutefois il  importe de souligner que, ces audiences foraines  ne sont que des procédures temporaires et il est nécessaire que les mentalités changent pour éliminer cette insuffisance.

La lutte est donc au  niveau de la sensibilisation pour que ne se renouvelle pas cette tare sociale. Les Etats modernes africains ne peuvent plus se permettre d’abriter en leur sein des personnes  fantômes.

Un enfant, pour la plupart des humains, est un rêve, un engagement, un projet qui se matérialise à la naissance de l’enfant. Toutefois, pour que le rêve devienne réalité, cette naissance doit être actée à l’état civil afin que cet enfant compte pour lui-même et pour la société.

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