26 juin 2014

2015-2016, années de grandes épreuves pour les démocraties en Afrique

revision constitutionnellle en Afrique

L’agenda politique en Afrique en 2015 et 2016 est riche en élections présidentielles. Des scrutins présidentiels sont prévus dans une vingtaine de pays. Dans au moins cinq de ces pays, les chefs d’Etat ont des mandats qui ne sont plus renouvelables au terme des constitutions en cours et des révisions constitutionnelles sont en gestation pour rendre possible la chose. Entre pro et anti révision constitutionnelle, le débat fait rage et le risque d’une confrontation est très grand.


Une série d’élections et une cascade de révisions constitutionnelles

Le respect des échéances électorales est une exigence majeure dans les démocraties modernes et dans les démocraties africaines, des efforts sont faits pour satisfaire cette exigence. En 2015 et 2016, dans au moins une vingtaine de pays, les électeurs seront convoqués aux urnes pour le scrutin présidentiel. En 2015, c’est le  Nigéria qui ouvre, le bal dès le 14 février 2015, puis suivront dans l’ordre la Centrafrique, le Soudan, la Guinée C, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Togo, le Burundi. En 2016, suivront le Niger, le Bénin, Djibouti, le Tchad, l’Union des Comores, le Congo Brazzaville, le Gabon, la Guinée Equatoriale, la RDC, Le Cap vert, la Gambie, le Ghana  etc.

Pour chacun de ces pays et pour l’ensemble du continent, ces scrutins en perspective, représentent un enjeu crucial pour la paix, la stabilité politique et donc pour le progrès économique et social. Toutefois, le climat social globalement déjà tendu, en temps normal dans plusieurs de ces pays, devient de plus en plus délétère à l’approche de ces échéances. Cette fièvre est particulièrement pernicieuse au Burkina Faso, au Congo Kinshasa, au Burundi, au Congo Brazzaville et au Bénin. Dans ces cinq pays, à moins de 18 mois des élections présidentielles, des révisions constitutionnelles sont officiellement annoncées, des projets qui divisent la société et exacerbent la tension sociale..

Au Burkina Faso, Blaise Compaoré, après 27 ans de règne, veut modifier l’article 37 de la Constitution, qui limite à deux, le nombre de mandats présidentiels. Le projet de révision constitutionnelle vise à faire abroger par référendum la limitation du nombre de mandats présidentiels. Pour l’opposition, « il n’y a plus que l’épreuve de force pour nous départager », averti Bénéwendé Sankara.

Au Burundi, Pierre N’kurunziza, veut modifier la Constitution du pays, afin de pouvoir briguer un troisième mandat. L’opposition burundaise très remontée contre ce projet traitre  est sur le pied de guerre pour le contrecarrer. 

Au Bénin, après un premier passage en catimini à l’Assemblée Nationale et le tollé général qui s’en est suivi, le projet de révision constitutionnelle est, actuellement, de nouveau, soumis à l’étude  des députés. Ici, entre le camp des partisans du projet et celui des opposants à ce projet, la ligne de clivage ne passe pas par la traditionnelle limite Majorité-Opposition et la confrontation promet d’être fratricide.

Au Congo Brazzaville, la Constitution du 20 janvier 2002, limite à deux le mandat du chef de l’Etat  et impose une limite d’âge à 70 ans (Article 57 et 58). Après plus de deux décennies au pouvoir, Sassou N’Guesso ne peut briguer un nouveau mandat en 2015 sauf si la constitution est modifiée. Pour le président congolais, le débat est ouvert sur la révision ou le changement de la Constitution. L’opposition congolaise a lancé, le 24 mai 2014, une plateforme dénommée ’Mouvement citoyen pour le respect de l’ordre constitutionnel’’ pour lutter contre toute modification de la Constitution du 20 janvier 2002.

En RDC, Le président Kabila arrive au terme de son deuxième mandat en 2016. Son gouvernement a adopté en mai dernier un projet de loi pour réviser la Constitution et permettre l’organisation des élections à venir. Selon le gouvernement, il s’agit d’une modification technique destinée notamment à faire des économies sur l’organisation des scrutins. Mais, l’opposition craint que le président Joseph Kabila ne cherche après coup, à se maintenir après la fin de son mandat. A Kinshasa, le débat est très houleux et l’inquiétude à son paroxysme.

Ainsi, au Burundi, au Burkina Faso et au Congo Brazzaville, l’objectif avoué de la révision est pour permettre respectivement au président Nkurunziza, Compaoré et Sassou Nguesso de briguer un troisième mandat en 2015 et 2016. En revanche au Bénin et en RDC, la version officielle réfute la révision opportuniste même si personne n’est dupe que le moment venu, le discours changera. Dans ces deux pays, en particulier, l’inquiétude vient du fait que nul ne peut dire si la révision constitutionnelle mènera à une nouvelle République. Le hic étant que dès lors que la révision aura lieu, ce ne sera plus le peuple ou les juristes qui le détermineront, mais la Cour Constitutionnelle qui est une institution politique et dont les délibérations sont sans recours, comme ce fut le cas au Sénégal en 2012.

En faisant abstraction de la transparence des scrutins qui constitue déjà une source de tensions potentielles autour des élections en Afrique, ces révisions constitutionnelles annoncées viennent en rajouter à une situation déjà compliquée. Comme on le voit les années 2015 et 2016 s’annoncent de toute épreuve pour les démocraties africaines dans lesquelles actuellement c’est le calme avant la tempête.


Un complot afro-africain 
                 

A mon sens, ce dont il est question, dépasse à la fois la fonction présidentielle et la modeste personne du Président. Il s’agit du choix de la démocratie fait par les Etats africains et de la capacité des africains à assumer leur choix. Il y va de la dignité et de la responsabilité du continent tout entier.

Or, une vertu cardinale de la démocratie est le passage du gouvernement des hommes au gouvernement des lois, c’est à dire l’Etat de droit qu’elle instaure. Mais, avec la cascade des reformes constitutionnelles annoncées, la loi va être modifiée pour permettre à un homme de gouverner, une situation qui suscite plusieurs interrogations.

Quel sens, nous africains, donnons nous à la démocratie ?

A nos yeux, entre l’homme et la loi, lequel semble plus important ?

Un objectif qui n’a pu être atteint par un homme en deux mandats, quel garanti qu’il sera atteint en un troisième mandat?

Les réponses à ces différentes questions permettent de dire qu’il faut avoir la foi du charbonnier pour croire en  ces révisions. Elles cachent mal la duperie, la mauvaise foi et l’indécence de ses  partisans. Non, comme l’a su dire Paul Claudel : “Ce n’est point le temps qui manque, c’est nous qui lui manquons. » 

En pensant au douloureux passé colonial du continent et en analysant les mœurs des hommes politiques actuels, on est frappé par cette absence totale de responsabilité, de bon sens, de dignité et d’élégance qui caractérise le jeu politique africain. En réfléchissant au sacrifice enduré par les générations passées pour arracher leur liberté et l’usage qui en est fait par les générations actuelles, je suis tenté de dire que les plus grands ennemis de l’Afrique, ce ne sont pas les autres, mais les Africains eux-mêmes.

Ma conviction est d’autant plus grande que face à ces révisions opportunistes, le monde regarde, l’Afrique, s’indigne et s’inquiète, et pendant ce temps, l’Afrique elle-même se regarde et se complaît. Outre Méditerranée, l’indignation est à son comble. Outre Atlantique, la préoccupation est encore plus grande. Pour preuve, le Secrétaire d’Etat John Kerry, lors de son passage en RDC le 4 mai 2014 a été direct. « Je crois que [le président Kabila] a clairement en tête le fait que les États-Unis sont intimement convaincus que le processus constitutionnel doit être respecté », a-t-il précisé. « Nous ne voulons pas que M. Kabila change la Constitution ou fasse un troisième mandat », a ajouté Russell Feingold, l’émissaire spécial de Barack Obama pour les Grands Lacs.

Mais, côté Afrique, c’est silence Radio. Aucun Chef d’Etat, aucune Chancellerie, aucune Assemblée sur le continent ne s’est senti interpellé par la situation et donner de la voix. Ni les institutions sous régionales ni l’organisation panafricaine ne s’en sont indignés pour rappeler à l’ordre les chefs d’Etat concernés. Pourtant à travers les sommets, les visites bilatérales et multilatérales, les émissaires et les liaisons diplomatiques, tout ce monde se voit, se consulte, se conseille se soutient et avance. Difficile donc de ne pas croire que ces révisions procèdent d’un véritable complot que les leaders du continent trament contre leur peuple. Les autres étant dans l’expectative du succès des uns pour le rééditer chez eux.


Une mobilisation panafricaine

Face à ce complot des élites dirigeantes, il faut prôner une mobilisation panafricaine de l’ensemble des forces du progrès pour une lutte performante. Si ce projet de révision opportuniste prospère dans un seul pays, il prospérera dans tous les autres pays et adieux la démocratie. Il faut souhaiter que les organisations de la société civile de ses pays conjuguent leur force, se serrent les coudes pour susciter l’indignation du plus grand nombre en Afrique et hors d’Afrique pour décourager de tels projets.

Le prochain sommet Etats-Unis/Afrique est aussi une opportunité à exploiter pour inviter les Parlements en question à clarifier leur position sur la question ce qui peut couper l’herbe sous le pied des partisans de ces reformes. Au demeurant, un mandat présidentiel renouvelable une fois signifie que nul ne peut faire trois mandats consécutifs, que la Constitution ait été révisée ou non. C’est regrettable de le dire, mais il n’y qu’en Afrique que nous en sommes encore à de telles finasseries qui ne font que nous desservir. Oui, les peuples africains ont souffert la sueur et le sang pour se donner la liberté par leurs constitutions respectives, aucun sacrifice ne doit être de trop pour la préserver afin que notre foi en nos lois nous sauvent.

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Commentaires

Barack Nyare Mba
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Si certain ont du respect pour ceux qui se parjurent,moi non. Ils ont preté plusieurs fois serment devant des millions de personnes de veiller et de respecter à la constitution, ont donné leur PAROLE de tout faire pour la préserver. RÉSULTAT: Ils se parjurent continuellement.Une sorte de gardien-cambrioleur! Comment avoir du respect pour ceux-là? On ne se parjure pas, surtout pas plusieurs fois. Même dans nos rites et traditions africaines c'est interdit, dans la société c'est interdit, dans la vie professionnelle c'est interdit. On a besoin des hommes et femmes de parole, l'Afrique en a vraiment besoin.

Barack Nyare Mba
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Les dirigeants africains n'ont aucun respect pour la constitutions de leur pays, c'est pourquoi nous ne devons pas aussi avoir du respect pour eux. Personnellement je pense que la jeunesse africaine doit plus que jamais jouer son rôle durant ces élections sinon avant. On n'a pas le choix que de veiller au respect des textes pour éviter de repartir pour une décennie de contestations sociales, démocratique et autre, capables de semer des troubles considérables dans nos pays. Plus de guerre en afrique, nous voulons la paix la démocratie et la croissance économique.
#touchepasamaconstitution

AGBADJE Adébayo Babatoundé Charles A. Q.
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Les chefs d'Etat sont les premiers magistrats de nos pays et à ce titre nous leur devons du respect. Cependant nous devons aussi exiger d'eux le respect strict de la constitution sur la base de laquelle ils sont élus. Le role de la jeunesse est primordiale car c'est elle qui est le plus souvent instrumentalisée.

Alain Amrah Horutanga
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Au Burundi la révision constitutionnelle avait échoué au parlement faute de majorité. Il ne manquait qu'un seul député pour qu'elle soit faite. Mais cela dit, ceux qui étaient avertis savaient qu'il ne s'agissait là que d'une diversion. A la lecture de la constitution actuelle, le président Nkurunziza peut toujours se présenter bien que la question divise encore les juristes. il y a une faille. La constitution limite les mandats à deux et dans la suite elle institue le suffrage direct. La première élection présidentielle au Burundi ne s’était pas tenu au suffrage direct. Le Burundi contrairement aux autres nations citées a une constitution issu d'un long consensus après plus d'une décennie de guerre civile entre les hutus et les tutsis. elle s'inspire largement d'un texte consensuel appelé "Accords d'Arusha"

AGBADJE Adébayo Babatoundé Charles A. Q.
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Merci pour le rappel sur le Burundi. j'avais en son temps publié un billet.En Afrique, les démocraties en perte de vitesse qui analyse le vote au parlement burundais. A propos du vide, la loi vise toujours l'avenir, mais ne nie pas le passé ni ne l'absous. Pour moi il n'y a donc pas de vide. il n'y a que des vicieux. La loi a dit deux et l'Afrique n'émergera pas si les mots ne disent pas ce qu'ils disent. Afin que soit respectés les Accords d'Arusha qui sont plus ou moins mis à mal par N'Kurunziza ces derniers moments. Merci pour votre aimable contribution.

Debellahi
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Très bel article. Bien réfléchi,méthodiquement structuré, et merveilleusement exprimé. Je vais m'inspirer de tes articles, comme toi tu m'inspire.
Au sujet de Kabila, j'ai entendu son ministre dire" la constitution n'est pas figée. Elle est dynamique, pour s'adapter à l'évolution du pays. Les constitutions américaine et française ont été amendées combien de fois, se demandait-il ? Mais ce que que son excellence a oublié, c'est que ces constitutions dont il parle, n'ont jamais été modifiées pour maintenir quelqu'un en place. Mais pour renforcer et consolider l'Etat de droit. Bravo mon ami!

AGBADJE Adébayo Babatoundé Charles A. Q.
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Merci infiniment pour ton regard bienveillant qui m'encourage énormément. Nous africains avons l'art de nous tromper en croyant tromper les autres. Par quel subterfuge un mandat renouvelable une fois peut donner trois mandats, seuls les africains le savent. Si bien qu'ils sont les seuls sous développés. Bien à toi.