Au Nigeria, on se couche dans la République et on se lève dans le califat de Boko Haram

8 septembre 2014

Au Nigeria, on se couche dans la République et on se lève dans le califat de Boko Haram

boko haram

 

Au nord du Nigeria, les attaques de Boko Haram sont devenues quotidiennes et de plus en plus intenses. Visiblement, Boko Haram a changé de stratégie en passant d’actions de guérilla à des phases de conquête territoriale. Depuis le 24 août 2014, le groupe islamiste revendique la création d’un État islamique à Gwoza et menace de s’emparer de la partie nord-est du Nigeria, une situation qui rappelle le cas du  Nord-Mali en 2011-2012. Vu que ces offensives s’étalent sur plusieurs fronts en direction du Cameroun, du Tchad et du Niger, la question se pose de savoir  si la géopolitique de la sous-région n’est pas en train de se modifier petit à petit sous nos yeux ?

Au secours, les Barbares arrivent !

Les témoignages et récits en provenance du nord-est du Nigéria se suivent et se ressemblent tous, les invasions barbares de Boko Haram n’ont plus de limites. Le groupe islamiste opère des razzias dans les États de Borno, de Yobe et d’Adamawa. Face à ces exactions, la réaction de l’armée nigériane est toujours la même : le déni, malgré le faisceau d’indices concordants et accablants.
Le 6 août, la ville de Gwoza a été prise et  celle de Buni Yadi, deux semaines plus tard.  Le dimanche 24 août Abubakar Shekau, dans une vidéo déclare que la ville de Gwoza, contrôlée par ses hommes, était placée sous le règne du « califat islamique », sans lier explicitement cette référence à la situation en Irak. De toute évidence, face à la puissance de feu des troupes de Boko Haram, le moral des troupes nigérianes en prend un coup. Le 24 août, 500 soldats nigérians fuient les villes de Kerawa et Ashigashiya, et se réfugient au Cameroun.  Le lendemain, la ville nigériane de Gamboru Ngala, tombe sous le contrôle de Boko Haram. Cette attaque a provoqué le repli à Fotokol, au Cameroun, de milliers d’habitants de la localité et une seconde vague d’environ 200 militaires nigérians. Deux jours plus tard, Ashigashiya village frontalier du Cameroun est prise sans résistance par Boko Haram. De l’autre coté de la frontière, les villages camerounais de Kerawa et Garkara et la ville de Kolofata sont  sous très forte pression.

Le groupe islamiste contrôle désormais trois districts de l’État de Borno, ainsi qu’au moins un district dans deux États voisins, Yobe et Adamawa. Mais paradoxalement, l‘armée fédérale continue de réaffirmer que « la souveraineté et l’intégrité » du territoire nigérian sont « intactes », sans apporter la moindre réponse aux nombreuses préoccupations des Nigérians.

Que deviennent les lycéennes enlevées par Boko Haram en avril par le groupe islamiste ?

Que sont devenus la femme du vice-Premier ministre camerounais, le chef traditionnel Seini Boukar, les membres de sa famille et toutes les personnes enlevées à Kolofata fin juillet ?

Quel sort est réservé aux soldats loyalistes et aux milliers de nigérians réfugiés au Cameroun ?

Autant de questions qui restent sans réponses.

David contre Goliath

Pourtant  l’armée nigériane est réputée être la plus performante du continent. Elle dispose d’un budget colossal de 968 milliards de nairas (4,5 milliards d’euros), mais reste désarmée face à la progression de Boko Haram. On sait que face aux guerres asymétriques, les armées classiques sont sans ressources, mais Boko Haram ne mène plus une guerre asymétrique puisque les combats se font face à face et ce sont les forces loyalistes qui sont mises en déroute. Boko Haram est une rébellion née sur le territoire nigérian et leur repère est sur le territoire nigérian. C’est une armée forte de 6 à 8.000 combattants, un nombre qui peu difficilement passé inaperçu mais reste infime face à l’armée fédérale qui compte 80.000 militaires et 82.000 paramilitaires, selon le rapport 2014 de l’Institut international d’études stratégiques (IISS).

A défaut donc de se confronter à eux, on peut les juguler en contrôlant leur réseau d’approvisionnement en vivres et en armes.

Mais depuis bientôt un an que ces offensives ont recommencé, face à la puissance de feu de Boko Haram et la facilité stupéfiante avec laquelle ses combattants se déplacent dans toute la région nord-est, l’état-major des armées ne brille que par des effets d’annonce, tandis qu’à  Abuja, le gouvernement opte pour la politique de l’autruche. Et pendant ce temps sur le terrain, l’armée nigériane va de déroute en déni et de déni en compromission.

Demandez et l’on vous donnera;

Finalement, ce n’est que mercredi 3 septembre, à Abuja, lors d’une réunion entre le Nigeria et quatre de ses voisins (Bénin, Cameroun, Tchad et Niger) que  les autorités nigérianes ont appelé la communauté internationale à l’aide. Ce n’était pas trop tôt, mais c’est une avancée dont il faut prendre acte et en tirer les conséquences. Toutefois, il faut l’avouer, l’idée que la puissante armée nigériane appuyée par toutes les armées des Etats de la sous-région ne parvient pas à vaincre Boko Haram est inacceptable pour un grand nombre de personnes et les interrogations fusent de toute part. Dans la stratégie de lutte contre Boko Haram, les bonnes personnes sont-elles à la bonne place ? Et si oui, les affectations budgétaires appropriées sont-elles mises en œuvre ? Et enfin quelle est même la stratégie mise en œuvre dans cette lutte tant elle est floue ?

Faut-il le rappeler, le Nigeria est la première puissance africaine, puissance économique et puissance militaire, et elle est en incapacité de résoudre un problème de rébellion interne engendrée par ses propres contradictions et appelle à l’aide internationale. En élargissant la réflexion à l’échelle continentale, la question devient très préoccupante. L’Afrique appelle à l’aide internationale pour Ebola et pour Boko Haram, comme elle le fait déjà pour le paludisme, pour le sida, pour la famine, les sécheresses, les inondations, les conflits, etc. En définitive, quelle nation africaine au sud du Sahara, se montre capable de résoudre, par elle-même, les problèmes que soulève son propre développement ? Je n’aimerais pas troubler le repos d’Aimé Césaire dans sa tombe, mais la question se pose malheureusement en ces termes.

Du reste, Il n’y a pas de péché à demander et dorénavant, l’unique question qui se pose au Nigeria est de savoir sous quelle forme cette aide viendra et quand elle viendra. Au Mali en 2012, la France est intervenue in extremis pour sauver l’Etat malien. Quelle nation occidentale prendra actuellement une telle responsabilité au Nigeria ?

Au demeurant, Faut-il croire que le Nigeria actuel est à l’image de la Rome antique où, chaque invasion barbare préfigure un Empire affaibli, un Empire décadent, une armée en déconfiture et un leadership agonisant ? Le pronostic vital du règne du bien chanceux Goodluck Jonathan serait-il déjà engagé ? Quel avenir pour le mammouth africain ? Févier 2015, date des prochaines élections dans le pays, délivrera les secrets de l’oracle.

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Commentaires

naoumane
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Je me demande des fois qu'il s'agit de la religion ou plutôt une soif de pouvoir! Puisque moult ceux qui se cachent derrière la religion pour parvenir à leur fin!

AGBADJE Adébayo Babatoundé Charles A. Q.
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Belle interrogation et surtout juste interrogation. Ce sont des drogués qui rêve de pouvoir. Merci pour le détour