Les mille et un paradoxes de la Démocratie béninoise

17 décembre 2015

Les mille et un paradoxes de la Démocratie béninoise

Les presidents du Benin démocratiques

Au Bénin, les élections présidentielles, sixième du genre, de l’ère du renouveau démocratique sont fixées au 28 février 2016 et les grosses têtes d’affiche en vue, viennent plutôt du monde des affaires. Curieusement, malgré le dynamisme des élites politiques du pays, sur l’ensemble des 5 scrutins organisés à l’ère démocratique, aucun homme politique n’a été élu président. Un paradoxe démocratique qui au lieu d’être une exception, tend à devenir la norme démocratique béninoise.

Au Bénin, les élections présidentielles, sixième du genre, de l’ère du renouveau démocratique sont fixées au 28 février 2016.  A moins de trois mois du scrutin, les intentions de vote manifestées se cristallisent plutôt autour des hommes d’affaire du pays au détriment des élites politiques. La classe politique béninoise, naguère financée par ces hommes d’affaires devenus aujourd’hui des concurrents, observe en spectateur le combat des titans pour le contrôle du pouvoir d’Etat qui est sa raison d’être. Les élections présidentielles prochaines  apparaissent donc comme une Offre Publique d’Achat (OPA) sur la classe politique béninoise.  L’occasion pour moi de m’interroger sur cette vicieuse propension de la démocratie béninoise. Quelles sont les raisons qui expliquent cette mauvaise pratique démocratique et comment y remédier ?

Premier de cordée du renouveau démocratique en Afrique, le Bénin est devenu avec sa conférence nationale de février 1990, le laboratoire de la démocratie en Afrique. Le pays est passé du règne du parti unique au multipartisme intégral. La constitution du 11 décembre 1990, enjeu majeur de cette conférence  proclame que le pouvoir appartient au peuple qui exerce sa souveraineté par ses représentants élus. Elle dispose aussi dans son titre premier, article 5 que les partis politiques concourent à l’expression du suffrage. Un rôle historique mais jamais assumé pour les présidentielles  par les partis de l’échiquier national.

Aussi, face aux nombreuses crises, dérives et frustrations dans la gestion des affaires de l’Etat engendrés par ces  leaderships atypiques et dans la perspective des élections présidentielles de 2016, de plus en plus de  béninois expriment le désir de voir le leadership revenir dans le giron politique. Ce désir s’est fortement manifesté autour du contrôle du perchoir de l’Assemblée après les législative de 2015. La victoire du politicien Adrien Houngbédji sur le technocrate Komi Kountché à  été perçu comme un soulagement dans le pays. Mais seulement voilà, à trois mois du scrutin présidentiel, sur la pléthore de candidature déjà annoncée, les politiciens sont aux abonnés absents. Au tableau d’affichage on compte, deux généraux fraîchement admis à la retraite (Gbian et Amoussou), deux technocrates plus ou moins à la retraite (Bio-tchané et Koupkaki), un juge d’instruction radié de l’ordre des magistrats (Houssou Angelo), quelques louveteaux politiques en mode solitaire et la grande attraction de ce scrutin, trois hommes d’affaires et non des moindres sur le starting block (Zinsou, Talon et Ajavon).

Euh oui, avec l’entrée en lice des hommes d’affaires dans la course à la magistrature suprême, la classe politique est totalement dépassée par les événements.

– Les Force Cauris Pour un Bénin Émergent (FCBE), coalition de partis qui soutiennent l’action du chef de l’Etat restent frustrés et timorés face à la décision du chef de l’Etat qui a imposé le banquier d’affaire Lionel Zinsou comme candidat unique de la coalition FCBE aux présidentielles prochaines.

– Le PRD, premier parti de l’opposition a décidé de ne pas présenter un candidat à l’interne. Son président Me Adrien Houngbédji etant forclos, ce parti a opté pour la sous-traitance. Il appellera à voter pour l’un ou l’autre des trois hommes d’affaire, probablement, une conduite dictée par les enseignements du KO controversé de 2011.

– L’Union fait la Nation (UN), le plus grand regroupement de parti de l’opposition n’en finit pas, quant à elle, de désigner son candidat. J’y vas t-y, j’y vas t-y pas, à ce jour bien malin qui peut dire si elle aura un candidat à l’interne et pour quel objectif.

– La Renaissance du Bénin (RB), autre formation phare du sud et du centre du pays est toujours, comme à son habitude, assise entre deux chaises, la chaise du pouvoir et la chaise de l’opposition. A ce jour, elle n’a pas de candidat à l’interne, elle appellera aussi à voter pour l’un de nos trois joker.

– L’Alliance Soleil, grand regroupement de partis du Nord du pays fut la première formation à porter la candidature du général Gbian, supposé son militant avant de le récuser au profit de l’homme d’affaire Patrice Talon…

Et ainsi va la démocratie béninoise, la tête en bas et les pieds en haut. Les partis politiques qui devraient frayer le chemin, attendent de voir le bout du tunnel avant de se positionner. Le constat, il faut le dire, est triste, pathétique et même dramatique. Les partis politiques sont tous naufragés et la classe politique aux abois. En somme, la démocratie est dans l’impasse. En lieu et place d’une sélection démocratique performante du président de la république, on assiste à une sélection naturelle. Le vainqueur ne sera probablement pas le plus apte, mais le plus fortuné ou le plus chanceux. Comment le pays en est arrivé là et que faire pour revenir à une pratique plus orthodoxe de la démocratie ?

Dans le modèle démocratique béninois, les partis politiques occupent le rôle prépondérant dans l’animation de la vie politique, la conquête et l’exercice du pouvoir. Un rôle à priori bien perçu par la classe politique avec  la bagatelle de 231 partis régulièrement inscrits dont au moins une vingtaine représentés à l’Assemblée Nationale. Cette richesse  de la classe politique augure d’un panel d’élites soumis au suffrage  aux différentes élections présidentielles et c’est justement là que le bât blesse. Sur les 5 scrutins présidentiels organisés à l’ère du renouveau démocratique depuis 1991, aucun homme de la classe  politique, dans le sens classique du terme, n’a été élu président. Si en 1991, l’avènement du technocrate Nicéphore D. Soglo était plus ou moins compréhensible, le processus était à son début, le come back du militaire Kérékou en 1996 était improbable et l’élection de Boni Yayi en 2006 et surtout sa réélection en 2011 sont anecdotiques. Election après élection, la ruse ou le mauvais cœur des uns, la méfiance des autres et les considérations subjectives de tous ont, à chaque fois, permis à un troisième larron de rafler la mise démocratique.

A mon sens, les présidentielles de 2006 représentent le véritable faux pas de la classe politique béninoise qui a conduit à cette dérive. En se mobilisant massivement derrière la candidature du technocrate Boni Yayi au détriment de leur pair Adrien Houngbédji, ils ont fait entrer le loup dans la bergerie et comme dit l’adage : on sait quand ça commence, on ne sait pas quand ça finira. La démocratie ce n’est pas l’égo mis en avant devant les militants, la démocratie ce n’est pas la sauvegarde des intérêts partisans, la démocratie est une exigence morale, une idéologie et une manière d’être des institutions. Nous ne le dirons jamais assez, la démocratie est une modalité de l’État dans laquelle l’instrument du pouvoir est représenté par les institutions constituées par les représentants du peuple au nombre desquelles se trouvent l’exécutif et le législatif. L’exécutif ne pouvant rien sans l’aval du législatif, lorsque les membres du législatif décident de porter à la tête de l’exécutif un indépendant, à moins de se résoudre à n’être qu’une caisse d’enregistrement, il court le risque de se détruire.

C’est d’ailleurs le cas de tous les partis actuels à l’exception du PRD. Résolument et méthodiquement, le président Boni Yayi a sapé les bases de tous les partis politiques qui l’ont porté au pouvoir en siphonnant leurs élites ou en suscitant  des rivalités en leur sein par des nominations dont lui seul a le secret. De même, il a déstabilisé presque toutes les institutions démocratiques qui au lieu de faire office de contre pouvoir, adoubent le pouvoir. L’Assemblée Nationale est à ce jour l’unique institution de la république dont le contrôle échappe au président Boni Yayi, mais tous les béninois ont été témoins de l’effort qu’il a fallu au peuple militant, après les législatives de mai 2015, pour y parvenir. La vérité est qu’il n’est pas certain qu’une autre personne en lieu et place de Boni Yayi agirait autrement compte tenu des pouvoirs en sa capacité. Le vers est donc dans le fruit.

En clair, la classe politique béninoise, Majorité comme Opposition sont responsables de la dérive actuelle du processus démocratique. Ici comme partout sur le continent, les élites politiques n’ont plus à cœur de porter les aspirations des peuples africains. Elles ne roulent que pour leurs intérêts immédiats et sont prêts à tous les deals pour parvenir à leur fin. Au quotidien, on l’observe aisément, la finalité des actions menées par les uns et les autres vise moins à rendre le processus démocratique plus transparent et plus pertinent dans la défense des libertés individuelles, la sauvegarde de l’égalité de tous et l’indépendance des institutions. La question existentialiste chez les politiciens béninois est comment faire pour être proches du pouvoir. En fait, les partis au pouvoir ont tout fait pour rendre le statut de l’opposition insoutenable, infernal. En conséquence, plus personne ne veut être opposant : « Tout le monde va à la soupe » au banquet de la démocratie. C’est cette attitude des élites politiques béninoises qualifiée par certains politologues de « ventrocratie » qui a conduit le  Bénin dans l’impasse où il est actuellement.

Faisant partie intégrante du problème, il serait naïf de compter sur les élites politiques pour rendre le processus plus orthodoxe, plus vertueux, plus pertinent. Il revient au peuple souverain aux organisations de la société civile, aux médias, au cours des reformes constitutionnelles à venir, de sortir de la logiques des hommes forts au profit des institutions fortes. Il faudra tout particulièrement encadrer le financement, le fonctionnement et le mode d’organisation des partis politiques pour mettre fin à la transhumance politique et rendre plus pertinente l’action politique.

Agbadje Adébayo Charles

Étiquettes
Partagez

Commentaires

OGA Expédit
Répondre

Les dernières élections présidentielles ont confirmé la solidité de notre démocratie.
Accroissant l'esprit patriotique du peuple, béninois.
Je souhaite le meilleure pour notre patrie commune.
Merci à toutes, les institutions dynamiques que comporte notre pays pour faire avancer le système démocratique béninois, puis de préserver la paix; notre héritage ancestral.

ADANKON Félix
Répondre

Félicitations pour ta contribution à une nouvelle refondation de la démocratie béninoise.
J'ai oublié un aspect.Tu sais,le fait que le PRD n'ait pas de candidat jusqu'à ce jour nous prouve à suffisance que le PRD n'est pas parti politique mais un regroupement fait autour d'un homme et pour lui seul.Dès que l'homme a atteint la limite d'âge,une autre personnalité n'arrive à émerger. On ne pas faire le deuil du roi de son vivant. C'est la culture africaine.C'est dommage que cela ait des répercussions sur notre démocratie. La plupart de nos partis politiques en Afrique à quelques exceptions près sont charismatiques et à la solde de leurs leaders.

AGBADJE Adébayo Babatoundé Charles A. Q.
Répondre

oui le PRD est un héritage capitaliséjour par me A.Hong bedaine, mais un héritage lourd à porter pour les opposants. Vivement que la réforme constitutionnelle à venir contribue à mettre de l ordre dans les écuries politiques du pays.

ADANKON Félix
Répondre

Attention ⚠
Le leader du PRD,s'il voyait comment tu as écrit son nom devait te porter plainte.

ADANKON Félix
Répondre

C'est plutôt la politique des hommes politiques et non des heures politiques.
C'est une erreur de frappe.

ADANKON Félix
Répondre

Je trouve ton article très intéressant.Tu as pris tout temps pour le rédiger.Il y a une bonne cohérence dans les idées. Je ne connais pas le public qui lit tes articles.
Sur la forme,j'ai juste noté quelques fautes d'inattention.C'est normal puisque tu conçois seul et tu corriges naturellement seul.
Sur le fond,pas grand chose à signaler.Sauf que tu as parlé du peuple souverain qui peut corriger cette donne.N'oublie pas que ce peuple est à un fort pourcentage analphabète et tout le monde en profite.Pire,la pauvreté est là et la population en souffre.
Bref,les gens ne veulent plus manger la politique des heures politiques mais veulent l'argent des hommes d'affaires.Surtout quand on sait que ces derniers ont aussi eu leurs richesses sur le dos de l'État.

AGBADJE Adébayo Babatoundé Charles A. Q.
Répondre

Merci pour ta grande contribution à l enrichissement de l article sur le fond que sur la forme. Un peuple majoritairement analphabète et majoritairement pauvre, c'est le lit sur lequel se développe toutes les dérives dans notre pays et globalement en Afrique. C'est la substance du message et nous sommes d accord la dessus. Si on ne peut pas compter sur la clairvoyance des hommes politiques pour rendre performant le système il ne reste que le peuple militant. De ce point de vue il faut le reconnaître les associations de la société civile: social watch ont un impact positif. Mais je reconnais aussi que les leaders s'en serve comme tremplin pour se lancer dans la politique. Visiblement la politique est le business le plus porteur sous les tropiques et c est dommage. Merci encore pour l'intérêt porté et la contribution.