AGBADJE Adébayo Babatoundé Charles A. Q.

Au Bénin, cinq raisons pour Patrice Talon de briguer un second mandat

Au Bénin, l’élection présidentielle est prévue pour mars 2021 et à huit mois du scrutin, contrairement aux élections précédentes, les candidats ne se bousculent pas sur le starting block. Patrice Talon sera-t-il candidat à sa propre succession ?

Élu en 2016 dans une ferveur populaire, Patrice Talon s’est engagé, dans son discours d’investiture, à n’exercer qu’un seul quinquennat, décliné dans un vaste projet de reforme constitutionnelle. « Je ferai de mon mandat unique une exigence morale en exerçant le pouvoir d’Etat avec dignité et simplicité« , a-t-il déclaré.  Mais après l’échec du processus de révision de la constitution qui devrait l’acter, le président a relativisé sa promesse. « Le mandat unique est un idéal. Je l’ai espéré pour mon pays. Cela aurait pu être réglé maintenant, par la révision de la Constitution, ce n’est pas le cas. La règle générale du renouvellement du mandat reste donc valable pour moi et j’aviserai en 2021 en fonction de mon ressenti» a précisé Patrice Talon.

Naturellement, à huit mois de l’échéance, tout le monde veut savoir si  Patrice Talon a avisé. La question taraude les esprits et visiblement le dilemme pour l’homme est comparable à celui de Marie-Lou dans la chanson de Marie Bizet :

J’y vas-t-y, j’y vas-t’y pas ?

Y faut-y, y faut-y pas ?

Entre l’intérêt privé de Patrice Talon à honorer sa promesse du mandat unique et l’intérêt national incarné par les nombreuses voix qui l’appellent à  rempiler pour consolider les reformes ambitieuses saluées par tous, y compris ses opposants, le choix est cornélien et les avis sont tranchés.

A défaut d’une boule de cristal pour prédire la décision de Patrice Talon, plusieurs raisons objectives, à mon avis,  plaident en sa faveur pour un second mandat. Voici 05 (bonnes ) raisons qui militent en faveur de Patrice Talon pour briguer un second mandat.

1- Consolider et intensifier les reformes

« Je m’emploierai à faire de ce mandat un instrument de rupture et de transition devant aboutir à la mise en place des grandes réformes politiques et institutionnelles que nous avons tous appelées de nos voeux  » avait -t-il précisé dans son discours d’investiture.

Conformément à sa déclaration, le président Patrice Talon a engagé de multiples réformes notamment au triple plan politique, économique et social.  Les fruits ont-ils tenu la promesse des fleurs ? De toute évidence, la gouvernance de Patrice Talon, au cours de ces 4 dernières années, a laissé des traces dans tous les compartiments du pays.

Au plan économique, l’économie béninoise a subi de profondes mutations. Le boom de la production cotonnière, la construction et la mise en service d’une nouvelle centrale électique, l’accès à l’eau potable de plus en plus élargi, l’assainissement des finances publiques, la lutte contre la corruption et les rançonnements sur les voies par des forces de sécurité sont autant d’actions saluées par tous.

Au plan social, les actions sont pêle-mêle et s’articulent  autour de la couverture du pays en eau potable, des cantines scolaires mieux organisées, des logements sociaux, l’augmentation en capacité énergétique du pays, l’asphaltage des voies urbaines, l’affermage des hôpitaux, l’assainissement des berges lagunaires et des digues du pays et bien d’autres.  Mais, le panier de la ménagère peine à se remplir. La pauvreté et le sous emploi sont, en effet, des pieuvres à plusieurs tentacules ce qui explique, en partie, le décalage entre le temps de mise en oeuvre des politiques et celui de leur matérialisation.

Au plan politiques, la réforme du système partisan voulu au depart par tous les acteurs politiques a porté du fruit et permis de passer de 300 partis existant à une dizaine de partis légaux actuellement. A cette prouesse politique, il faut ajouter le financement public des partis politiques et surtout le nouveau Code électoral  qui impose à tous les prétendants à la magistrature suprême un  parrainage par un nombre de députés et/ou de maires correspondant à au moins 10% de l’ensemble de ces élus, soit 16, ce qui réduit à moins de 10, le nombre de candidats possibles à l’élection présidentielle de mars 2021. La preuve, à 8 mois de l’élection présidentielle, aucun candidat n’est encore annoncé dans le starting block. Pour rappel, en 2016, ils étaient 48 candidats retenus par la cour constitutionnelle et 33 à participer à l’élection présidentielle. Enfin, avec la révision poussive de la Constitution du 11 décembre 1990, un ticket électoral président / vice président est instauré avec des élections générales à partir de 2026.

Mal comprise au départ, la pertinence de toutes ces reformes inévitables s’est avérée chemin faisant et actuellement la grande majorité des béninois y adhère et appellent à leur intensification.

Par contre, ces reformes irritent profondément la classe politique à qui profitait les prébendes électorales. Désormais contrainte de se moderniser et de se moraliser, elle est vent debout contre toutes les reformes en cours. De nouveaux partis sont annoncés pour « restaurer la démocratie ». C’est justement la crainte de voir cette classe politique aigrie et revancharde remettre en cause toutes ces reformes après 2021 qui fait souhaiter un second mandat à Patrice Talon pour consolider les acquis des différentes reformes.

2 – On ne change pas une équipe qui gagne

La formule biblique est bien connue : « Rendre à Dieu ce qui est Dieu et à César ce qui est à César ». De mémoire de béninois, les progrès enregistrés par le régime actuel sont largement au dessus de la moyenne nationale en terme d’efficacité, d’équité et surtout de cohésion nationale. C’est fort de ce constat que plusieurs voix souhaitent qu’elles restent encore en place pour parachever et consolider l’œuvre en cours.

3 – En plein tourmente, le capitaine est la dernière personne à quitter le navire

Certes, une équipe est capitale pour la conduite des actions, mais une équipe a une âme, un leader sans qui, l’équipe sera bien en place, mais le cap va changer. C’est, une fois encore, la peur de voir ce cap changé après 2021 qui pousse les sans voix à souhaiter que le capitaine reste à bord jusqu’à la fin de la transition en 2026 avec les élections générales ou les risques de remise en cause et de manigance seront minimisés

 4 – De l’opportunité du deuxième mandat

« Le mandat unique est un idéal. Je l’ai espéré pour mon pays. Cela aurait pu être réglé maintenant, par la révision de la Constitution, ce n’est pas le cas », avait dit Patrice Talon dans son discours d’investiture. « Tant mieux ! », semble lui répondre, a postériori,  la situation actuelle.

Les reformes sont dures et n’épargnent personne, cependant de nombreuses voix appellent à leur intensification et mconsolidation.  Patrice Talon lui-même est mieux placé pour savoir que les nombreuses voix anonymes qui appellent à l’intensification des reformes voulue par lui ne le font pas par corruption ou pour des intérêt personnels. Ils le font plutôt par adhésion, pour donner une chance au pays pour la réduction des inégalités et la promotion du bien être de tous. Ainsi, Patrice Talon réalise à ses propres dépens que le mandat unique n’est pas une panacée comme il semble le croire et surtout que le deuxième mandat peut avoir aussi du bon, voire même, être une opportunité à un certain moment dans la vie d’une nation comme c’est le cas actuellement.

5 – Entre la parole et la patrie

En toute circonstance, ne pas tenir sa parole est pour tout être humain, une situation inconfortable et la position de Patrice Talon, nullement enviable. « Le meilleur moyen de tenir sa parole est de ne jamais la donner » a dit, à ce propos, Napoléon Bonaparte.

Toutefois, l’histoire nous enseigne : « aux grands maux, les grands remèdes ». Face à une situation grave et périlleuse, il faudrait savoir prendre les mesures nécessaires. Le president Talon est donc inviter à regarder la vérité en face et ne point se cacher la face. Entre la ruine de sa parole et la ruine de sa patrie, il aura à faire le choix. Mieux que tous, il connait les enjeux et les risques attachés à sa décision. Lui seul saura donc apprécier la balance bénéfice / risque, de la situation et seul prendre la meilleure décision pour lui et sa patrie le Bénin.


Au Bénin, de la démocratie à petits prix (tchi-vi) à la démocratie à grands prix (tchi-gan)

7-parti-CENA
Logos des 7 partis légaux au Bénin

Au Bénin, les élections législatives pour La 8ème législature se sont soldées par une crise. Crise mortelle pour la démocratie béninoise ou simple crise de croissance, la question est ouverte et divise.

 

La 8ème législature issue des élections législatives très contestées est enfin en place pour un mandat de 4 ans. Le processus électoral a connu son épilogue avec l’élection et la mise en place des 83 députés devant siéger à l’Assemblée nationale.

Pour les ténors de la mouvance présidentielle, la démocratie béninoise a fait un pas de géant avec la mise en place des 83 députés nouvellement élus. Mais pour Eric Houndété, premier vice-président du parlement sortant et membre de l’opposition au régime de Patrice Talon, la démocratie n’existe plus au Bénin. « Notre démocratie est déjà bradée, ensanglantée et endeuillée », a-t-il critiqué lors d’une sortie médiatique à Cotonou le 13 mai 2019.

Ainsi, nous sommes comme face à une illusion d’optique, la démocratie béninoise est vue de deux manières diamétralement opposées par la mouvance et l’opposition. Démocratie en crise de croissance pour les uns, démocratie en crise mortelle pour les autres. Une double interprétation qui intrigue et interpelle.

En effet, depuis l’accession au pouvoir de Patrice Talon en 2016, l’opposition à son régime n’a de cesse de critiquer des dérives autocratique supposées. Par une rhétorique  qui lui est propre, l’opposition béninoise fustige, les unes après les autres, les reformes opérées par le gouvernement de Patrice Talon. Elle dénonce spécifiquement les libertés embrigadées et la politique de faire deux poids deux mesures. Pour les opposants, tous les amis du roi sont à la cour et eux, les opposants, sont traqués et exclus de tout. Grâce à cette rhétorique, l’opposition béninoise a réussi à donner l’impression que rien ne va au Bénin. Toutes les reformes courageuses entreprises depuis 3 ans pour sortir le pays de l’ornière ne sont, pour elle, qu’un accaparement des ressources du pays et  un embrigadement des libertés individuelles. La stratégie a si tant et bien réussie que même la très distinguée Communauté Scientifique internationale a mordu à la supercherie en appelant le Président Talon à invalider les résultats du scrutin. Il en est de même de la députée française Sabine Rubin de « La France Insoumise » qui a interpellé le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, sur la position de la France par rapport aux dérives autocratiques signalées au Bénin.

Quand un enfant malade à qui on fait des injections crie à tue-tête, seul l’observateur qui s’approche de plus près saura qu’il ne s’agit point de maltraitance, mais bien au contraire. Cet appel de la communauté scientifique internationale témoigne de son souci pour l’expérience démocratique béninoise, mais visiblement il ne tient pas compte du contexte actuel du pays.

Dans un contexte de reformes générale des institutions du pays, toutes les couches sociales et toutes les corporations du pays ont été impactées par les reformes. Le secteur de l’éducation, le corps médical, les magistrats, la gendarmerie, la police, les professions libérales, ont été tous reformées pour être plus performants et en phase avec la modernité. Seule la reforme du système partisan a tourné à la crise. La question se pose de savoir pourquoi ?

Vu de l’extérieur, la démocratie béninoise est jugée vigoureuse du fait de la tenue des élections à bonne date et de ses résultats globalement consensuels. Mais vu de l’intérieur, tout le monde savait que c’était une démocratie identitaire qui s’accommode plus ou moins de corruption, de prévarication, de régionalisme et de clientélisme. Sans idéologie ni principe autre que les identités, c’était toujours les mêmes personnes qui, dans l’ordre ou le désordre, occupaient toutes les fonctions électives, scrutin après scrutin. Eh oui ! La fameuse démocratie béninoise était une démocratie balbutiante, une démocratie à la petite semaine, une démocratie à petits prix. La preuve : en vingt cinq ans de démocratie et de multipartisme intégral, aucun parti politique, aussi structuré soit-il, n’a jamais réussi à faire élire son candidat interne à la magistrature. C’est toujours un candidat richissime indépendant sorti de nulle part, qui arrose de billets de banque tous les petits partis et les conditionne à faire campagne pour lui. Tel fut le cas en 1996 et 2001 avec Mathieu Kérékou, en 2006 et 2011 avec Boni Yayi et en 2016 et avec l’actuel président Patrice Talon. De l’avis de tous, classe politique, comme société civile, une réforme du système partisan était «urgente et inévitable»

La reforme du système partisan était donc à la fois souhaitée par le peuple, mais non désirée par certains acteurs politiques. Le projet de loi a relevé les standards de représentativité  et de fonctionnement des partis politiques. L’objectif visé est la transition des micros partis vers de grands regroupements politiques et un financement publique des partis siégeant à l’Assemblée. Cette reforme qui pousse aux grands regroupements autour des idées ou d’une idéologie, brise les regroupements communautaires, induit un clivage plutôt idéologique du pays et donc une cohésion nationale et un  développement plus structuré. Mais il y a plus, Elle supprime, de fait, la possibilité à un indépendant de ravir la vedette aux parti politique. On peut donc d’ores et déjà dire que le prochain président du Bénin sera un politicien du cru. La reforme du système partisan réhabilite donc les partis politiques dans leur droit constitutionnel. Elle imprime par ce fait à la démocratie béninoise un saut qualitatif majeur dans sa maturation en lui conférant plus de responsabilité et donc plus d’efficacité. Elle fait passer la démocratie béninoise de la petite semaine à la grande semaine, de la démocratie à petit prix à la démocratie à grands prix en faisant d’elle un véritable instrument rationnel de développement.

Naturellement, certains politiciens carriéristes qui vivaient de la manne politique ont très tôt compris que cette reforme mettait en cause leur acquis. Elle sonne le glas des arrangements et magouilles politiques. La création et la gestion des micros partis politiques étaient, en effet, un fond de commerce politique, un business qui permettait de vivre confortablement et légalement aux dépends des deniers public. Ils permettaient d’accéder, non seulement à des ressources publiques, mais aussi à de l’influence pour marchander postes administratifs et avantages sociaux. En définitive, c’est l’adoption par le parlement sortant de la loi portant la reforme du système partisan qui  est la pomme de discorde entre les présumés exclus et leurs adversaires. N’en déplaise aux opposants actuels, cette reforme du système partisan revitalise la démocratie et est salutaire à plusieurs égards.

Les déclarations tonitruantes des uns  et les offensives diplomatiquesr des autres  autour des premières élections législatives après la reforme ne sont donc que la manifestation de la mauvaise foi de ces acteurs politiques qui, dans un baroud d’honneur, tentent de faire échec à cette reforme. Le peuple béninois a toujours pris fait et cause pour les victimes, mais, malgré le contexte actuel très difficile pour chacun, le peuple ne fait pas d’amalgames. Il est bien conscient que les opposants actuels ne sont victimes que de leur propre mauvaise foi, ce qui a quelque peu échappé à la communauté scientifique internationale.

Il faut, peut être, déplorer le caractère timoré des services de communication du gouvernement qui ne permet pas à l’observateur indépendant de se faire une juste opinion sur les problématiques. Le gouvernement garde, en effet, trop de silence autour des différentes questions d’actualité. Silence pudique, probablement ; silence stratégique, certainement, mais finalement, silence coupable. On peut l’illustrer avec le bilan de perte en vies humaines lors des échauffourées des 1er  et 2 mai 2019 autour du domicile de l’ancien président Boni Yayi. Les médias ont abondamment relayé un cas à Cotonou, dame  Prudence Amoussou qui a succombé à ses blessures. L’opposition dans toutes ses sorties, parle de 9 morts sans jamais fournir de noms, mais curieusement, face à ce qui ressemble à une intoxication médiatique, le gouvernement reste silencieux.

Tel que nous l’enseigne Wole Soyinka, le tigre ne proclame pas sa tigritude, il s’assume. Les élections municipales auront lieu en 2020 et le compte à rebours a déjà commencé. Sachant que les mêmes causes produisent les mêmes effets, la balle est désormais dans le camp des opposants qui sont appelés à s’assumer. L’idéal serait de voir la multitude de micros partis d’opposition se fédérer en un grand bloc capable de constituer une alternative crédible aux blocs de la mouvance présidentielle. A défaut,  que chaque parti s’adapte en quittant le dilatoire et en se conformant résolument aux textes en vigueur afin que l’opposition  joue son rôle historique et ainsi donner de la vigueur à la démocratie.

Agbadje Adébayo B. Charles


Au Bénin : Boni Yayi, sapeur pompier chez les autres, pyromane chez soi

Boni Yayi

Au Bénin, les élections législatives pour la 8e mandature ont eu lieu le 28 avril 2019.

Pour ne s’être pas conformé dans les délai aux nouvelles exigences du code électoral, l’opposition politique, entre dilatoire et faux-fuyant, n’est pas admise à y participer. Malgré la main tendu du gouvernement, le consensus n’a pu être trouvé. Dura lex, sed lex. Loi dure, mais c’est la loi.

Mais, visiblement, l’opposition béninoise n’entend pas la chose de cette oreille. Au lendemain du scrutin, sous la houlette des ex-présidents Nicéphore Soglo et Thomas Boni Yayi, elle lance un ultimatum au président actuel Patrice Talon. Lui donnant 24 heures pour annuler le scrutin.

« S’il ne s’exécute pas, nous appelons le peuple à prendre toutes ses responsabilités », a dit Nicéphore Soglo. Et Boni Yayi de renchérir : « C’est une question de vie ou de mort. »

On le sait bien, le Bénin est fier de sa démocratie. Le pays peut se vanter d’avoir deux anciens présidents en vie. Deux personnalités ressources, deux références morales pour aider le pays en cas de crise. Le président Boni Yayi en particulier est célèbre pour sa sensibilité à fleur de peau. Le monde entier l’a vu pleurer à Paris pour la victime de Charlie Hebdo. On l’a vu prononcer le vœu devant le Pape de devenir pasteur à la fin de son mandat. On l’a vu offrir une Bible à son successeur Patrice Talon, signe de sa foi en Dieu.

Boni Yayi, grand médiateur et grand apôtre de paix sur le continent. Boni Yayi totalement méconnaissable depuis le début de la crise électoral au Bénin. L’homme est devenu  grand agitateur et chantre de la violence chez soi. Non content de sonner la charge contre les forces de l’ordre en plein marché.

A la fin de leur ultimatum, il organise une fronde contre la police républicaine devant son domicile. L’insurrection orchestrée a engendré de violentes manifestations et un vandalisme.  Au total, deux morts, plusieurs blessés, de nombreux biens publics et privés saccagés.

Après l’émotion, vivement que viennent le temps des responsabilités. Entre les planificateurs de l’ultimatum et les exécutants des mots d’ordre, la vérité doit se savoir, afin que les familles puisse faire leur deuil.

Boni Yayi
Boni Yayi

 


Au Bénin, trois ans de démocratie en mode talons hauts

Démocratie en mode talons hauts au Bénin
Démocratie en mode talons hauts au Bénin

                                                                                                                                                   Crédit image: www.prettylittlething.fr

 

En matière de mode, chaque saison a ses must.

Mais en toute saison, les hauts talons sont le must des must de l’élégance féminine.

Incontestablement, les talons hauts donnent fière allure et ajoutent à l’élégance.

Les jambes paraissent longues, le corps plus galbé et la démarche plus cadencée.

Oui l’effet « haut talon » est charmant à bien des égards

Cependant, les talons hauts font mal aux orteils, aux mollets et à la hanche.

ils imposent une recherche permanente de l’équilibre au risque de chuter.

Mais aucune société moderne ne résiste à l’envie d’être plus classe et plus performante.

Au Bénin on dit « atchô kpêdé, ozo kpêdé » ! Entendez : « il n’y a pas de rose sans épines »

A propos, du Bénin,  depuis 2016, c’est une saison originale qui s’y est ouverte.

La nouvelle tendance en vogue dans le pays  est la mode talons hauts.

Lancée par un petit groupe en rupture avec l’ancienne mode ;

Le look talons hauts a émergé et, à bas bruits, il a conquis tout le pays.

Au commencement, s’était un nouveau départ qui  a séduit plus d’un.

Puis la vague s’est quelque peu emballé avant de se révéler sous ses beaux atours.

Progressivement, tout le monde a troqué ses vieux baskets contre de jolis talons hauts

Trois ans après son lancement, « l’effet hauts talons »  fait plaisir à voir

Les talons hauts donnent fière allure au pays et ajoutent à l’élégance démocratique.

Le Bénin n’est pas le Burkina, mais les béninois sont devenus des hommes intègres.

En l’espace d’une saison, le pays est devenu méconnaissable.

Fini le laisser aller,  les arrangements et compromissions en tout genre

Fini les bakchichs,  la corruption, le clientélisme, le régionalisme, les grèves anarchiques…

Le service public a retrouvé ses lettres de noblesse partout dans le pays

Sur les routes, dans les écoles, les hôpitaux, les tribunaux, les administrations…

Le citoyen, contribuable et électeur est désormais roi.

Si ce n’est pas çà la démocratie, cela lui ressemble bien.

Mais il est vrai, les talons hauts, tout le monde n’aime pas.

Les talons hauts font mal aux pieds, aux orteils, aux mollets pour tous.

La grande majorité, contre mauvaise fortune, fait bon cœur.

Mais une minorité est vent debout contre les talons hauts

« L’effet  hauts talons » a contre lui, les citoyens rétro, les aigris et les jaloux.

Ils ont la nostalgie des avantages et facilités que ne permettent plus les talons hauts.

Ils font un lobbying  actif pour le retour de la mode rétro.

Ils ont le moral aux talons et ne rêvent que de la fin de la saison des talons hauts.

Ils ne sont qu’une minorité, mais tonnent en do majeur,

Les talons hauts cassent les pieds, empêchent de tourner en rond et affament.

Ils fulminent, ils tempêtent, ils menacent !

Pour la grande messe de la représentation nationale 2019,

Entre les blocs de la Majorité et le camp de la minorité au parlement,

Le consensus n’a pu être trouvé sur la chaussure à porter par tous.

Pour la majorité, tous les participants doivent être en mode talons hauts selon la nouvelle tendance,

La minorité, elle, voulait une dérogation pour y participer en mode rétro.

La dessus, les deux camps sont restés inconciliables.

Sans consensus, l’équilibre est rompu et la chute inévitable.

Aïe ! Aïe ! Aïe ! Dommage ! Dommage ! Dommage !

Vraisemblablement, tous, ne seront pas à la messe de la représentation nationale 2019.

Un petit recul pour mieux sauter, sans doute.

Les messes ultérieures n’en seront que plus belles

Chacun sait désormais quoi faire pour y être.

Non, la guerre des talons hauts n‘aura pas lieu, bien au contraire.

Cependant, seulement deux petites années nous séparent de la fin de la saison 1.

Que nous réserve l’après saison 1 des  talons hauts ?

Allons-nous jeter les talons hauts et reprendre nos vieux baskets ?

Allons-nous revivre le réveil de tous les vieux démons tombés dans les oubliettes ?

Rien qu’à y penser, je tremble pour mon pays.

Bonjour les dégâts: la corruption, le clientélisme et les compromissions en tous genres.

La contamination vertueuse étant plus difficile que la contamination vicieuse,

Pour ne pas s’arrêter en si bon chemin, vivement une saison 2 des talons hauts.

Juste une petite saison 2, pour le renforcement et l’approfondissement.

Je joins ma voix à la voix des sans voix, pour une saison 2 des talons hauts.

Avec l’espoir qu’après les saisons talons hauts,  » l’effet hauts talons  » reste.

Agbadje Adébayo B. Charles

 

 

 


Législatives 2019 au Bénin, l’opposition entre  changement et rupture

Lopposition béninoise entre changement et rupture
une délégation de de l’opposition béninoise

 

Ça va changer, ça doit changer ! …Ça va changer, ça doit changer !

Le slogan est accrocheur et a fait mouche.

En 2006 monsieur Changement avec son leitmotiv à la bouche, s’installa.

Pendant deux mandats tout entiers, monsieur Changement a chanté

Très content et satisfait de soi, le refrain était à l’autosatisfaction.

Yinwê ! « C’est moi », Yindié ! « me voici ».

L’eau potable, l’électricité, les routes ; » Yinwê ! »,

La césarienne gratuite, l’école gratuite, les micro crédits ;  » Yinwê ! »,

L’émergence économique et la prospérité partagée ;  » Yindié ! ».

Afin que tout soit clair, le peuple fut prévenu que le train de monsieur Changement ne fait pas machine arrière.

Et laudateurs de renchérir : « Après nous, c’est nous ! ».

Pourtant, malgré tout ce tapage tonitruant

Les courtisans sont chaque jour éclaboussés par des scandales sordides,

Mais monsieur changement, la main sur le cœur, avoue, chaque fois, ne pas être au courant.

Le peuple fini par se lasser des fariboles de  monsieur Changement.

Après une décennie de son   régime, le peuple opta pour l’alternance.

Sans trop y croire et peut être mêmes, à contre cœur,  Il jeta son dévolu sur dame Rupture

Visiblement, bien lui en a pris.

Au-delà de toute attente, dame Rupture s’est révélée laborieuse, perfectionniste et déterminée.

Aussitôt à l’œuvre, elle annonça les couleurs :

« Tout le pays est à reformer, sinon on court vers le chaos total »

Et reforme après reformes, les lueurs d’une société et d’une économie organisées commencent par pointer à l’horizon.

Mais la potion est amère, très amère, il faut le reconnaître.

Sur le plan politique, le système partisan n’a pas échappé aux reformes de dame Rupture.

La charte des partis et le code électoral, entre autre, ont été revus et amender de fonds en comble.

Des exigences nouvelles de représentativité et  de quitus fiscal sont introduites dans le jeu politique

Des exigences qui préfigurent une classe politique plus responsable et plus vertueuse.

Dorénavant donc, exit tous les partis claniques d’antan et plus d’élus débiteurs vis-à-vis du fisc

Comme il fallait s’y attendre, monsieur Changement est passé à l’opposition, par la force des choses,

Mais, au lieu de prendre la mesure de la nouvelle donne et  de s’adapter, il préfère plutôt fulminer.

Avec les siens, ils tournent en dérision toutes ces reformes.

Quelles reformes ? De la poudre aux yeux ! De la pure arnaque politique !

Ils sillonnent le pays pour faire de l’opposition, de la diversion et de la victimisation.

Il menace même d’abroger toutes ces lois inspirées des reformes après les législatives 2019 qu’elle espère remporter.

Mais pour remporter ces législatives 2019,  il faut d’abord candidater, et c’est là que le bat blesse.

Voici venu la saison du dépôt des dossiers de candidature pour les législatives 2019 au Bénin en question.

Tout naturellement, il est le premier à s’offusquer du rejet de son dossier de candidature  pour non-conformité à la nouvelle loi.

Comme il fallait s’y attendre, beaucoup d’ agitations, des menace et même  un ultimatum.

De guerre lasse, avec les siens, il alla crier secours chez dame Rupture, sa rivale,
La priant de lui faire quelques arrangements pour un scrutin inclusif et .pour la paix…

Changer la loi pour les personnes qui sont appelées à faire les lois ?

Une demande aussi curieuse qu’inacceptable pour dame Rupture.

Que penserait  d’elle le citoyen lambda, malmené par les différentes reformes ?

Que faisiez-vous depuis que la loi à été votée se garda-t-elle de demander à ses hôtes.

Mais dame Rupture nullement rancunière, fut bonne conseillère.

Faites tout pour vous conformer à la loi ; l’administration, est instruite pour vous faciliter la tâche.

Mais visiblement, malgré les efforts indéniables, les meubles n’ont pas pu être sauvés.

A la clôture du délai imparti pour le dépôt des candidatures,

Le camp de monsieur Changement est arrivé après fermeture des bureaux.

Sauf miracle, le scrutin se déroula sans le camp de monsieur Changement.

Chronique d’une exclusion annoncée ou manœuvre de victimisation stratégique? 

Quoi qu’il en soit, il n’est jamais trop tard pour se conformer à la loi.

Mieux vaut se conformer à la loi et espérer … que d’espérer… pour se conformer à la loi. 

A prôner le changement sans rompre, on finit par rompre et changer dans la douleur.

Dans la citée, comme dans la jungle, il faut en permanence s’adapter aux lois pour survivre. sinon la sélection vous élimine.

Le changement est dans la rupture et la rupture est changement et donc évolution.

La leçon vaut bien un déplacement au palais de la Marina.

On espère qu’elle est sue pour de bon et pour de vrai.

Agbadjé Adébayo Charles


Au Bénin, qu’est-ce qui fait courir les anciens  présidents Soglo et Yayi?

 

Les présidents Soglo et Yayi à Djeffa en 2018
Les présidents Yayi et Soglo à Djeffa en 2018

 

Au Bénin, depuis 2016, un vent de changement souffle sur le pays.

Avec l’avènement au pouvoir du président  Patrice Talon, une ère nouvelle a commencé.

Le changement prôné et non réalisé par les présidents passés semble enfin au rendez-vous.

En l’espace de deux années, des reformes courageuses et innovantes sont réalisées.

L’occupation anarchique du domaine public est radicalement proscrite

Le code du travail est amendé, les grèves sauvages d’avant sont plafonnées à dix jours par an.

Le code foncier est revu et consolidé, finis les arnaques et  litiges fonciers interminables.

La charte des partis politiques est refondée avec des standards démocratiques plus  exigeants :

Les centaines de petits partis existants ont dû fusionner en une poignée de grands partis.

Le code électoral est revisité, la pléthore de candidats aux élections, est désormais du passé.

Les réseaux et trafiques d’influence dans les administrations publiques sont démantelés les uns après les autres.

Un programme d’action gouvernemental (PAG) très ambitieux  est opérationnel.

Mais surtout, la corruption est vouée aux gémonies et les comptes publics passés au crible

Depuis lors, nombreux sont  les gestionnaires publics aux abois ou aux abonnés absents.

Les uns dénoncent une politique de ruse et de rage, les autres un harcèlement politique.

Curieusement, tous les prévenus se découvrent, soudainement, une âme d’opposant

Des directeurs d’institution en audit, s’exilent volontairement pour harcèlement politique.

Des élus du peuple rattrapés par des gestions passés, s’expatrient pour acharnement politique,

Des vendeurs notoires de faux médicaments inculpés, dénoncent un règlement de compte politique,

Des trafiquants dont les réseaux sont démantelés, crient à la chasse aux sorcières.

C’est le branle-bas, les données ont changées et toutes les cartes rebattues.

Pour les pro-gouvernementaux, Vive la rupture !

Pour les opposants politiques, A bas la dictature !

Le gotha politique traditionnel ébranlé est déboussolé et en émoi.

Même les anciens présidents Soglo et Yayi  sont en courroux contre les reformes.

Ils dénoncent, eux aussi, les reformes dictatoriales et l’acharnement politique

Ils sillonnent le pays du nord au sud et face aux foules, ils appuient là où ça fait mal:

Pauvreté, misère sociale et l’insécurité galopante  ont toutes la même cause : les reformes en cours.

Ils promettent d’abroger toutes les lois dictatoriales inspirées par les reformes en cours

Et pour joindre l’acte à la parole, la lutte politique est engagée.

Ils coalisent et appellent à l’union sacrée de l’opposition aux législatives d’avril 2019

Puisqu’ils sont contre les reformes en cours, quelles alternatives restent-il?

On peut dores et déjà s’amuser à les imaginer en campagne contre les reformes en cours.

Votez pour l’opposition, pour l’abrogation des lois inspirées par les reformes du Président Talon.

Votez pour nous pour restaurer la prévarication, la corruption, la fraude, la gabégie……

Votez pour nous pour restaurer les grèves sauvages, les fraudes, les trafiques, le désordre …

Ah ! Ah ! Ah ! Politique quand tu nous tiens !

L’issue du scrutin dira si les objectifs visés sont atteints et les espoirs comblés.

Seulement, ce soudain regain d’engagements des Ex-présidents Soglo et Yayi  interpelle.

Pour tous les peuples du monde, les reformes sont toujours éprouvantes et impopulaires.

Portant, elles constituent la voie unique  pour le progrès et le salut collectif.

Les pays d’Europe, d’Amérique et d’Asie se sont modernisés aux prix de grandes reformes.

Et cela, les présidents Soglo et Yayi, très expérimentés, le savent mieux que tous.

Mais, au lieu d’encourager le peuple à adhérer aux reformes initiées par leur successeur,

Ils se font porte étendard de la fronde sociale.

Visiblement, ceci relève de la politique politicienne ou mauvaise foi

Une mauvaise foi qui cache mal leurs frustrations personnelles.

Oui ! On aurait bien aimé ne pas savoir :

Que le fils de l’un et le beau-fils de l’autre sont en cavale hors du pays,

Que les deux fils chouchous n’ont exercé aucune profession connue à ce jour au Bénin,

Que pourtant, l’un fut fait maire de Cotonou pendant une décennie par son père,

Que l’autre fut fait ministre des finances pendant un mandat par son beau père,

Qu’enfin, à l’heure de rendre compte de leur  gestion, les deux ont opté pour la cavale.

Le soudain regain d’activisme politique des deux pères, ne viserait-il qu’à soutenir leurs fils?

Le suffrage des urnes recherché, ne viserait-il qu’à cautionner la gabegie des enfants gâtés ?

On aurait bien aimé ne pas voir des intérêts personnels en filigrane de ce noble engagement,

Mais hélas !

Manifestement donc, ce n’est pas de la politique, mais de l’instrumentalisation du peuple

La politique, ce n’est pas les ego mis en spectacle devant les masses populaires.

La politique, ce n’est pas des frustrations manifestées pour des privilèges perdus.

La politique, ce n’est pas le déni de ses responsabilités passées et la brigue d’un nouveau mandat.

La politique, c’est prendre sur soi le destin de tous.

La politique, c’est faire adhérer le peuple a des reformes structurelles pour le bien être collectif.

Rupture ou dictature, ce ne sont que des mots qui ne reflètent que des positionnements.

L’essentiel, c’est les efforts à faire par tous pour réduire les inégalités et promouvoir légalité de tous.

Vivement que cesse la politique politicienne et que le consensus  se fasse autour de l’essentiel pour le bien être collectif.

 Agbadje Adébayo Charles


Au Bénin, la peur du bó ou ogoun : les versets sataniques du vodoun ? Première partie

Cadenas d'amour ou cadenas mystique
Cadenas d’amour ou cadenas mystique proposé par différents maitres voyants

                                                   crédit image: https://supremedjitrimin.canalblog.com/archives/2018/02/12/36136848.html
 

Le vodoun, religion endogène des peuples de l’Afrique de l’ouest et de sa diaspora suscite bien souvent dans l’opinion publique une forte appréhension liée précisément à la peur des pratiques occultes malfaisantes dont il aurait l’apanage et communément appelées « bó «  en langue fon du Bénin ou « ogoun » en langue yorouba du Bénin et du Nigéria. Pourtant malgré cette appréhension collective du bó ou ogoun en public, la grande majorité des peuples de l’’Afrique de l’ouest y ont, en privé, recourt comme la solution ultime à leur difficulté de la vie quotidienne. Un comportement dualiste très africain qui soulève un certain nombre de problèmes.

Comment définir le bó ou ogoun et quelle relation y a-t-il entre bó et  vodoun ?

Quelle est la pertinence du bó ou ogoun  en tant que valeur scientifique ?

Comment faire l‘évaluation du bó ou ogoun et quid de son contrôle en tant que pratique sociale ?

 

Les réflexions qui suivent dans cette première partie porteront sur la définition du concept du bó ou ogoun et la relation entre bó et vodoun.  La seconde partie traitera de la pertinence du bó  ou ogoun en tant que valeur scientifique et la troisième partie sera consacrée à  l’évaluation et au contrôle du bó ou ogoun en tant que pratique sociale.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il me parait, une fois encore, nécessaire de préciser que je ne suis ni un prêtre vodoun ni un bokonon ou devin ni même un adepte vodoun. Toutefois, c’est un système que j’ai observé, du plus près, pendant au moins une quarantaine d’années et que je tente de décrypter au regard de l’idéal religieux avec l’espoir que les personnes plus averties que moi sur la question  en fassent autant pour faire bouger les lignes. 

Au rendez-vous du donner et du recevoir, chaque continent est riche de ce qu’il est et de ce qu’il a, ses valeurs, qu’il peut échanger avec les autres. Mais le hic est que nous africains, avons une forte propension à mépriser nos valeurs endogènes, au motif qu’elles sont néfastes et à embrasser « facilement » les valeurs exogènes jugées plus policées. C’est souvent oublier que ces valeurs exogènes avaient été, chacune en son temps, autant critiquables, voire plus, que les nôtres en ce moment et que c’est la bravoure et l’esprit de discernement de leur peuple qui les ont policées petit à petit au fil du temps. 

Ceci dit, toutes les religions,  révélées où non, ont un volet mystique ou ésotérique, et le vodoun aussi. Le volet mystique du vodoun est le Fâ et à travers lui, des offrandes ou « Vôssissa » qui en découlent et auxquelles s’apparente le modus operandi de quelques bó, comme on le verra plus loin. Cette similitude fait que d’aucuns assimilent le bó au vodoun, ce que réfutent avec véhémence les adeptes du vodoun. La question se pose donc de savoir où s’arrête le vodoun et où commence le bó ?    

 

Le bó en question

Définir le bó n’est pas chose aisée pour un non initié, toutefois  quelques rares travaux sur la question nous en donne une perspective. Le professeur Apovo Cossi Jean Marie,  dans son étude réalisée en 1995 et intitulé :  » Anthropologie du bo : théorie et pratique du gri-gri «  fait remonter l’étymologie du bó a l’expression yorouba :  “ebo aari fun“ qui signifie littéralement « couvrez lui la honte », avec le sens d’épargner à quelqu’un l’humiliation. Par déformation linguistique, le verbe yorouba Ebo (couvrir) est devenu chez les fon du Bénin bó. Étymologiquement donc, le bó est une couverture matérielle et morale pour cacher ou éviter une humiliation. Le professeur Apovo lui-même en donne la définition suivante : un ensemble de forces psychologiques qui dans son mode d’action présente un caractère magique. Autrement dit, le bó est un artifice, un gri-gri, pour se sortir d’une mauvaise passe et éviter la honte.  Le professeur Victor Tokpanou de l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin est, pour sa part, moins nuancé. Dans une publication intitulée:  » La peur du bó : pratiques occultes et construction de l’état de droit  » et paru  dans le livre:   » L’ancien et le nouveau: la production du savoir dans l’Afrique d’aujourd’hui  » / Paulin J. hountondiji (ed) – GERM , il en donne la définition suivante:  « le bó est le système d’accumulation de savoir du vodoun […]; en tant que tel, il est consubstantiel à la religion vodoun… ». une approche qui place d’office le bó  au cœur du vodoun, ce qui relance la polémique.

Pour démêler l’écheveau du concept du bó et en donner une idée plus concrète, je vais, pour  ma part, m’appuyer sur le terme familièrement utilisé par les pratiquants du bó, pour désigner leur art en langue fon : « Aman », qui signifie littéralement feuille végétale ou plus généralement plante,  ou en langue yorouba : « éwé » qui signifie également feuille ou plante. Il est intéressant de remarquer que ces deux termes : « aman » et « éwé » désignent aussi dans ces deux langues respectives, le remède ou médicament contre une pathologie ou une maladie donnée. Ceci indique que la dimension première du bó ou ogoun  est thérapeutique, voire palliative. L’usage lui conférera deux autres dimensions caractéristiques, notamment celles de porte-bonheur ou de porte-malheur.

 En réalité, la feuille toute seule ne constitue pas le bó, elle n’en est que la base. Techniquement, le bó ou ogoun  est le produit d’une réaction complexe et subtile entre deux catégories de réactifs dont l’un est matériel et l’autre immatériel. En théorie donc, le bó a deux composants essentiels : un composant matériel et un composant immatériel.

Le composant matériel a pour base une plante ou un  ensemble de plantes, auquel sont ajoutés des organes d’animaux et une fraction minérale (eau, sable, métaux, roches diverses).

Qu’en est-il de l’usage des organes humains dans la confection des bo? Le soupçon est grand, mais visiblement cet usage est désuet. En effet, la vague de crimes rituels qui a défrayé la chronique au printemps 2018 au Bénin et la découverte par la police d’ossements et organes humains chez certains hounnon qui sont les maîtres vodoun du culte KInnInsi a relancé la polémique sur l’usage d’organes humains dans certains bó. Cependant, l’indignation, la condamnation publique des hauts dignitaires vodoun contre cette pratique de leurs pairs et les clarifications apportées permettent de conclure à une déviance. D’ailleurs, les personnes épinglées par la police suite à cette vague de crimes rituels ont tous avoué leur forfaiture d’association de malfaiteurs.

De toute évidence donc les organes humains ne sont pas utilisés dans la confection des bó, même si les informations rapportées dans l’étude du professeur Apovo a évoqué quelques cas isolés dans un passé lointain dans les cours royales.

Le composant immatériel quant à lui est abstrait et intelligible. C’est une parole incantatoire, le « bógbé » en langue fon ou « Öffô » en yorouba qui opère  la transformation effective de l’élément matériel en bó ou ogoun. Les formes du  Bógbé sont nombreuses : formule simple ou imagée, vœu, prière, interjection, hymne ou simples proverbes. Le bogbé incarne l’esprit même du bó. Naturellement, nous sommes au cœur de la mystique du bó qui prône une croyance à des forces, à des influences, à des actions imperceptibles aux sens et cependant réelles. La connaissance en matière de bó réside donc dans la maîtrise de quelle association de plantes, d’organes d’animaux, de matières minérales et d’incantation,  pour telle artifice ou prouesse.

Culturellement, la conception du bó se fonde sur une représentation toute particulière des africains sur la maladie et ses causes. En effet, en Afrique, est conçue comme maladie, non seulement  les altérations et dysfonctionnements des organes, mais aussi les sentiments de malaise, de mal être,  la malchance et les vices. Sur les causes, il ya une  double perception sociale possibles des causes de la maladie en Afrique. Chaque maladie peut ainsi avoir, selon le cas, une cause naturelle ou une cause mystique qui est justement l’effet du bó.

En pratique, le bó met en jeu trois grands acteurs : Le « Bótô », le « Bówató » et « Min é do Bó ».

1. Le « Bótô » ou littéralement, le « faiseur (fabricateur) de gri-gri », c’est  l’artificier  qui est spécialisé dans la conception, l’agencement et l’activation du bó. Dans le contexte de double perception des causes de la maladie, les bótô font office tantôt de pyromanes, tantôt de sapeurs pompiers. Ils forment une classe composite qui intègre plusieurs démembrements dont les plus représentatifs sont :

  • les « Amanwatô », ils revendiquent une pratique basée exclusivement sur les vertus naturelles des plantes. Très éclectiques, ils font appel à la divination du fâ pour déterminer la cause naturelle ou mystique des problèmes à eux présentés et les plus modernes parmi eux ont recours aux analyses biomédicales pour clarifier la pathologie exacte et éprouver leur thérapie en cas de maladies naturelles. Les membres phares de cette tendance sont bien connus.
  • les « Nouwatô’ , ils forment une grande catégorie qui regroupe les « Noumontô » (les voyants) et les « Noudjretô » ( les magico-sorciers ) qui entourent leurs savoirs de démonstrations magiques plus ou moins spectaculaires et bluffant.  C’est dans le rang des Nouwatô qu’on rencontre le plus grand nombre des amateurs et des faussaires de l’ordre des bótô. 
  • les « Azétô » ou les sorciers au sens commun du terme. Contrairement aux deux autres catégories, l’action des Azétô est exclusivement destructrice.  Il sont les moins visibles du système, mais les plus redoutables car sous leur action, le pronostic vital de la cible est toujours engagé.

 Il faut préciser que même  si  la charge des Amanwatô rappelle quelque peu celle des bokonon, ils en sont clairement distincts et ces trois groupes de botô, professionnellement parlant, ne sont liée ni de loin ni de près à aucune branche vodoun, quand bien même, ils sont eux même, adepte de la religion vodoun. Par ailleurs, la voyance, en particulier, est un don que posséderaient certaines personnes mais qui est inconnue du fâ et donc du vodoun. Pourtant, la plupart des bótô, à l’étranger surtout, se présentent, indifféremment comme grand maître vodoun, grand médium ou voyant, grand marabout.., des terminologies totalement étrangères au vodoun, ce qui exclut toute relation entre leur profession et leur religion. Toutefois, les prêtres du fâ ou bokonon qui sont les thérapeutes assermentés du système vodoun, intègrent dans leur formation l’identification et la prise en charge des maladie dues au bó classiques, mais restent impuissants face à celles de bó modernes sophistiqués. Néanmoins, ils constituent,  le dernier recours contre les méfaits des bó malveillants. 

2.  Le « Bówató » ou l’utilisateur du bó, c’est le commanditaire,  la personne à la demande de qui le bó est confectionné et qui est aussi chargée de sa mise en oeuvre.

3.  Le « Min é do bó » c’est-à-dire la victime ou la cible du bó : c’est le destinataire, la personne visée par l’action du bó.

 

Les formes matérielles du bó ou ogoun

Une fois conçu et confectionné, le bó ou ogoun se présente sous des formes matérielles diverses mystiquement chargées. On distingue :

« atin », ingrédients calcinés et réduits en poudre à consommer par voie orale ou pour scarification

« tila »,  talisman, amulette ou bague

« kpé », mixture dans la coquille de l’escargot ou la corne d’un animal

« só », pieu, piquet que l’on enfonce dans le sol ou tout autre substrat pour faire prospérer un vœu, noble ou vil. La version moderne du “so“  est le cadenas mystique, etc.

 Formes matérielles usuelles du bo

 

La typologie du

Plusieurs classifications existent, nous ne retiendrons ici que la classification basique, celle donné en fonction du mode d’action du bó. Ainsi, suivant la finalité de l’effet recherché en lien avec l’intention du bowato, on distingue trois sortes de bó: les « ylô », les « gló » et les « dakabó »

  1. les « Ylô »:  les bó qui augmentent le bien-être de l’individu en lui donnant de la chance

Ce sont essentiellement les bó pour Attirer la chance, le bonheur ou le retour d’affection. Nombreux sont, en effet, ceux qui pensent qu’on ne peut accéder à certaines promotions sans « un coup de pouce », d’ailleurs tout le monde pense que ceux qui y parviennent sont passer par là et personne ne veut être du reste.   Ainsi, que ce soit la commerçante pour attirer les clients et rendre le marché plus favorable; le fonctionnaire pour une promotion rapide, l’amoureux pour gagner l’âme sœur, le politicien, l’artisan, le sportif…, chacun recherche l’ingrédient pour avoir le vent favorable ou être à la bonne place au bon moment. Les gris-gris pour attirer la chance et le bonheur sont multiples et portent diverses dénominations. Il y a entre autres : le tanigla, le ayimèvo, etc.

Une forme particulière de ylô est « l’attachement ou l’embrigadement » du conjoint avec le très célèbre ‘’gbotémi’’. C’est l’arsenal de prédilection utilisé par les dames pour s’assurer la fidélité de leur mari. Ce dernier ne jurera que par le nom de sa femme, tant qu’il est sous l’emprise du gbotemi. Une enquête initiée en octobre 2014 en milieu urbain au Bénin par “NEWS AFRIKA“ a révélé que 8 femmes sur 10 fréquentent les botô et bokonons à la recherche du bien être ou de la sécurité pour leur famille.

2. Les « gló » ou bouclier antimissile: les bó qui sécurisent l’individu 

La peur de envoûtement est comme une psychose qui hante l’esprit des béninois en particulier et plus largement des africains. Ici chacun pense que les rivalités et autres difficultés qui découlent du vivre ensemble sont des sources potentielles de règlement de compte mystique contre lesquels il faut se prémunir. Procès d’intention ou menace réelle, bien malin qui peut le dire. Mais le mot d’ordre est : ‘’tchité do houè dé wou, entendez : « prends garde et cuirasse toi ». Selon ce mot d’ordre, les chefs de famille, les responsables d’institution, volontairement ou involontairement, expérimentent un gri-gri de la famille des Glo pour  sécuriser sa famille ou son institution. 

Il faut dire que les églises du réveil ont particulièrement contribué à amplifier le phénomène en instillant la peur et la division dans les familles et dans les communautés. Elles pensent offrir une protection à leurs fidèles, mais en réalité elles les poussent vers les bokonon et botô jugés plus crédibles à leurs yeux. D’ailleurs, les nombreux faits divers dans chaque localité indiquent que la plupart des pasteurs se fortifient eux-mêmes auprès des Bokonon et botô.

 Les gló ou gris-gris pour conjurer le mauvais sort sont multiples et portent diverses dénominations. Les deux principales famille sont le « Fla » ou antimissiles qui annulent l’effet d’un autre bó et  le « Flije »  ou « le retour à l’envoyeur » qui protège et attaque à la fois. On   distingue notamment : ‘’Azéglo ’’‘’ kounonla’’‘’lanmin sien’’, le ‘’aviti’’, le ‘’tchakatou klon’’, le fifobó et huzu-huzubó… qui sont autant de recettes contre les sorciers, la mort et les maladies.

 Je pense, pour ma part, qu’il y a toujours plus de peur que de mal. D’ailleurs, avec l’amélioration des plateaux techniques des installations sanitaires, les gens vivent plus longtemps, les récriminations ont diminué considérablement, mais l’engouement pour la protection est, lui, plutôt intact.

3. Les Dakabó ou Bódida: les bó malfaisants ou dangereux 

C’est cette famille de bó qui cristallise toutes les appréhensions, toutes les passions et toutes les rumeurs. Nous sommes ici dans l’offensif, l’attaque. Pour le spécifier, en yorouba, on précisera: ogoun ika ou bo malveillant.  Ici tous les coups sont permis et le rime avec le  « nou didó » c’est-à-dire le poison sous une forme dissimulée et  administré par des voies inédites. Il peut se traduire par une maladie bizarre et subite ou une mort subite. Dans la gamme des bó malveillants, on peut citer : le kpé, corne d’antilope remplie d’une mixture chargée. mystiquement dont la consommation fait accomplir un vœu malfaisant ou un sortilège. On trouve aussi le Só, pieu qu’on enterre avec une intention bonne ou mauvaise qu’on souhaite bloquer en l’état, le kidjabó  pour disloquer les familles, les amitiés, le sukpikpa qui pousse à se discréditer ou s’humilier soi même, etc. Mais l’attaque la plus spectaculaire en la matière est le tchakatou ou fusil mystique, l’arme la plus redoutée des dakabo. C’est un mauvais sort, une maladie lancée à une personne à distance. Dans le corps de la victime pénètrent de façon très mystérieuse des tessons de bouteilles, des clous rouillés, des brisures de verre, d’os ou tout autre objet dangereux. Sans une prise en charge de la victime chez les spécialistes, le tchakatou est toujours mortel.

Toutefois, la palme d’or des bo malfaisants revient au azébó qui est l’apanage des azétô ou sorciers qui fonctionnent en sociétés secrètes.   Ces derniers transforment leurs victimes en animal pour les festins rituels qu’ils organisent chaque nuit, 

Les motivations essentielles de ces actes odieux sont le règlement de compte suite à un différend social, la jalousie ou la méchanceté gratuite. Ceci n’est pas, bien sûr, l’apanage des peuples du Golfe du Bénin, mais la face sombre de l’humanité. Le bó est le  mode de règlement des conflits sociaux que le réflexe moderne de recours à la justice n’a pas encore totalement évincé. Mais c’est un mode de règlement disproportionné et très injuste qui relève de la lâcheté humaine. 

Globalement, la gamme des bó est tout aussi variée dans sa forme que dans sa finalité. 

 

Le bó et le vodoun

La diabolisation et les fortes appréhensions que suscite le vodoun sont, en grande partie, liées à sa relation ambiguë  avec le bó ou ogoun. Pourtant tous les observateurs avertis de l’espace culturel vodoun sont conscients du fait que le bó n’est pas le vodoun et que le vodoun n’est pas le bó, mais entre le vodoun et le bó il y a une relation historique qui s’est nouée au fil du temps et souvent insaisissable qu’on peut tenter d’appréhender à deux niveaux essentiels.

Le premier niveau d’imbrication du bó et du vodoun se situe au niveau de la genèse du bó. Le Fâ, en tant que art divinatoire du vodoun, est aussi une base de données, un répertoire de recettes pratiques pour augmenter la chance ou la protection personnelle. A chacun des 256 dou ou oracles du Fâ, correspondent un protocole de recettes pratiques qui sont la solution aux problèmes identifiés. Ces différentes sacrifices prescrites par le fâ et appelés « le vôssissa », intègrent une partie matérielle (offrandes, libations et sacrifices) et une partie immatérielle, (prières et incantations) selon le même  principe que le bó  et sont qualifiées de Fâbó. De ce point de vue, dans la conception commune, le Fâ est la source du bó. Loracle du  Fâ donne non seulement accès aux vodoun, mais prescrit aussi des bó  en tant que moyens ou solutions aux problèmes de la lutte pour la survie. Aussi pour la mise en place du vodoun appelé en fon « vodunlili« , il faut un certain nombre de bó sur lesquels le culte du vodun prend son appui. Naturellement, tout ceci relève des Fâbo ou bó institutionnels. Mais, avec la colonisation, l’évangélisation a gagné le continent et l’acculturation engendrée a basculé ce dernier dans un chaos qui ne dit pas son nom.

Avec l’évangélisation, le vodoun s’est retrouvé contesté dans son statut de religion et diabolisé par les missionnaires et leur fidèles africains,  mais surtout   le bó qui était un ordre de phénomènes relativement autonome au sein de l’institution vodoun est passé dans le champ profane. L’activité des botô qui était alors exercée par les boconon avec toutes  les restrictions nécessaires et  contrôlée par les rois, est dorénavant libre d’accès à tous.

Dès lors, il est possible à tous les esprits malins pour qui la maîtrise du Fâ se révélaient trop complexe et trop rigoureuse, d’occulter  sa dimension d’oracle et de le réduire simplement à un codex de recours ou un répertoire de recettes pratiques pour y tirer par détournement et perversion  des recettes plus ou  moins malveillantes. De ce fait on peut dire que certes, le Fâ est la source du bó, mais la grande majorité des bó actuels ont des origines autres que le Fâ. En effet, les vrais bó dans l’entendement populaire, les bó les plus efficaces et les plus redoutables n’ont eux, rien à voir avec le Fâ et donc avec le vodoun. Ils relèvent du champ profane en lien avec les savoirs endogènes ancestraux et même modernes en chimie minérale ou organique.

A un botô spécialisé dans les bo malfaisants que j’ai rencontré au cours de mes recherches et qui a requis l’anonymat, j’ai posé la question de savoir à quelle obédience vodoun il appartenait? Il a souri longuement avant de me répondre: « Je n’appartiens à aucune branche vodoun. Si tu rentres chez moi, tu ne trouveras que la bible, les psaumes, les livres scientifiques et mes propres recherches », Partant de ce fait, le bó ou ogoun apparaît comme une dérive antithétique du Fâ qui a subi de nombreuses et profondes mutations par incorporation d’ingrédients et de protocoles variés du savoir endogène au point de devenir une institution à part entière et qui tend même à se substituer, par endroit, au vodoun. 

Le bó est une fabrication humaine, un objet qui se veut divin et nombreux sont les botô qui lui attribuent une vertu divine ou spirituelle. Ils sont des redresseurs de tort qui ont l’intime conviction que c’est Dieu lui-même, à travers les incantations prononcées, qui permet au bó de s’accomplir, tant en bien qu’en mal, dès lors que les critères requis sont respectés.  De ceci découle le fait que pour donner plus de crédit à leur art, un grand nombre de botô aiment à faire croire qu’il tire leur puissance du vodoun, ce qui entretient le flou entre  bó et vodoun jusqu’à nos jours et justifie l’amalgame observé

A mon sens, entre le bó et le vodoun, la relation est de l’ordre du : « je t’aime, moi non plus ». En conséquence, à l’état actuel des choses, le bó ou ogoun apparaît plus comme un système d’accumulation du savoir endogène africain.

A cet effet, on peut faire un parallèle entre le bó ou ogoun et les pratiques similaires à travers toute l’Afrique : le liguey au Sénégal, le gbass en Côte-d’Ivoire, le chang au Cameroun, le biang ou vampire en Afrique centrale et le juju au Ghana et dans toute l’Afrique anglophone, etc. Toutes ces pratiques qui tirent leur essence du savoir endogène ancestral et qui souvent ne sont adossées à aucun culte local sont toutes des pratiques homologues du bó ou ogoun. Comme le bó ou ogoun elles utilisent une approche par la voie de la connaissance et à ce titre elles ont chacune leur logique et leur dynamique, symbole de leur rationalité.

D’un point de vue social, toutes ces pratiques de bó et assimilés sont un outil d’aide à la résolution des problèmes en proposant des réponses pratiques aux préoccupations des uns et des autres.  Du point de vue des valeurs, une appréciation, soit positive ou négative de ces pratiques ne peut être que relative, car aucune connaissance n’est, en soi  positive ou négative. Le bien et le mal sont des  caractéristiques morales inhérentes au sujet et non à l’objet. Le bien et le mal étant deux facettes d’une même pièce de monnaie, toutes les contre indications d’une recette thérapeutique deviennent de façon opportune des indications pour nuire aux personnes qui sont dans ces états. Il en va de même pour la médecine moderne.

Le deuxième niveau d’imbrication entre le vodoun et le bó s’exprime au plan éthique. Sur le plan éthique, le postulat vodoun est que nul ne viole les interdits ou tabous du vodoun sans avoir un retour négatif. Toutefois la nature de ce retour négatif qui est censé être l’œuvre de la justice fait polémique. Logiquement, ce retour négatif, symbole de la justice divine, doit procéder d’une justice immanente ou d’une justice transcendante, ou à tout le moins, d’une instance au-dessus de tout soupçon. Or, le soupçon est grand que ce retour négatif, pendant longtemps, n’est souvent ni l’œuvre d’une justice immanente rationnelle basée sur le couple de forces naturelles antagonistes action / réaction qui caractérise l’équilibre de la nature et du vivant ni celle d’une justice transcendante qui suppose le jugement de la créature par son créateur au terme de son existence terrestre. Mais ce retour négatif, trop souvent automatique, s’apparente plutôt à une justice transcendante institutionnelle à l’aide du bó ou ogoun, à la solde de quelques dignitaires du vodoun.

Procès d’intention ou jugement fondé, objectivement, je ne saurais quoi dire, probablement, la vérité se situe au milieu. « Le vodun ne tue jamais, c’est le bó qui tue au nom du vodun », dit le dicton populaire.  De toute évidence, des fondamentalistes du vodoun, haut dignitaires ou simples adeptes, à l’instar des inquisiteurs catholiques d’antan ou des djihadistes musulmans actuels, plus royalistes que le roi, se substitueraient aux vodoun en perpétrant volontairement des représailles masquées contre les citoyens, au motif qu’ils ont violé quelques interdits. Cette défiance est  probablement le talon d’Achille du vodoun qui est suspecté par les personnes qu’il est sensé protéger. Ceci est donc le signe que soit dans le discours, soit dans la pratique, quelque chose ne fonctionne pas comme cela se doit et pose la question de la nécessaire modernisation du vodoun.

  Actuellement, le clergé vodoun pourfend, officiellement, les botô, mais c’est un secret de Polichinelle, ses membres peu orthodoxes font appel au service des botô pour leur intérêt et influence personnels comme  le commun de la population. Pour affirmer leur puissance, leur pouvoir, ils sont toujours à la recherche des bó les plus efficaces, les plus puissants, les plus redoutables. D’ailleurs, des informations concordantes l’attestent,  le service des botô est sollicité non seulement par les membres indélicats du clergé vodoun, mais également par ceux des clergés catholique, musulman, et surtout des églises du réveil. Naturellement, ceci n’engage que ces personnes, mais non les institutions qu’elles incarnent. Bien sûr, ces accointances circonstanciées dérangent et ont beaucoup nui au vodoun,  

Cependant, il faut le dire, le vodoun a le dos large, car pour une certaines franges de la population, toutes les vicissitudes de la vie viennent invariablement du vodoun via le bó ou ogoun. En effet, pendant longtemps, les méthodes de diagnostic médical en Afrique étaient approximatives ce qui fait que toutes les morts subites ou les pathologies que la médecine ne pouvaient techniquement pas diagnostiqué étaient étiquetées comme l’œuvre du  bó ou ogoun, sortilège jeté par un proche. Mais depuis quelques décennies, les plateaux techniques se sont nettement améliorés, les pathologies sont plus ou moins diagnostiquées dans les centres urbains, les responsabilités sont clairement situées et la fréquence des accusations gratuite est en baisse, tout au moins en ville, mais la peur reste intacte et paradoxalement,  ce sont les personnes qui en sont les plus critiques qui en sont également les plus demandeurs.

In fine, le bó ou ogun est l’art par lequel l’homme transforme un objet naturel en un objet symbolique qu’il investit d’une charge mystique bienfaisante ou malfaisante. Il est une manifestation des savoir endogènes africains et non du vodoun spécifiquement, Mais cette ambiguïté est vite dissipée dès qu’on comprend que le vodoun est une religion et le bó ou ogoun est une pratique sociale dont les bótô en sont les spécialistes. S’il est vrai qu’ils étaient de religion vodoun à l’origine, actuellement, ils sont tout aussi chrétiens, musulmans voire athées.

Quoi qu’on dise, le bó ou ogoun a encore de beaux jours devant lui, non pas à cause de la pertinence avérée de l’offre, mais à cause de la mentalité fortement superstitieuse ambiante. La croyance en l’efficacité magique de certaine pratiques est encore trop forte, ce qui fait que tout le monde est à la recherche des recettes miracles ou magiques: qui pour fidéliser un conjoint, qui pour faire prospérer un business ou une promotion, qui pour gérer une adversité réelle ou supposée. Dans un tel contexte, le bó ou ogoun devient incontournable, quand bien même le résultat est très aléatoire. 

Toutefois, ce qui reste prégnant est que le vodoun continue de faire peur, aussi bien à ses sympathisants qu’à ses détracteurs, ce qui logiquement n’est pas sa vocation. Cette situation n’est pas la faute du vodoun, mais le résultat d’une faillite collective des africains et de leurs élites qu’il faut assumer. Nous, africains, sommes forts pour regarder ce qui ne nous regarde pas ou nous regarde de loin et incapables de regarder ce qui nous rega4rde de près, voire qui ne regarde que nous, les phénomènes exclusivement présents dans nos sociétés. On trouve, en effet, sur le continent, des chercheurs experts dans toutes les subtilités des religions occidentales et orientales, mais les chercheurs experts dans les religions endogènes et surtout dans les pratiques sociales telle que le bó, on en cherche. Résultat, la majorité des africains est ignorante des fondements  culturels et cultuels qui structurent les sociétés traditionnelles dans lesquelles ils sont.  A quand dans nos universités des experts en canon vodoun et dans les subtilités des pratiques occultes africaines pour mettre ces savoirs au profit de l’humanité?  La balle est dans le camp des élites scientifiques et politiques africaines.

Agbadje Adebayo Babatounde charles A. Q.


A suivre bientôt :https://afro-moderne.mondoblog.org/2018/09/14/au-benin-la-peur-du-bo-ou-ogoun-les-versets-sataniques-du-vodoun-deuxieme-partie/


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Au Bénin, la peur du bó ou ogoun : les versets sataniques du vodoun ? Deuxième partie

Panier plein d'eau: science ou magie?

Crédit image : https://marabouttodome.blogspot.com/2016/04/faire-briller-son-etoile-par-le-bain-de.html

Au Bénin, le bô ou ogoun, pratiques occultes plus ou moins malfaisants, fait peur et fascine à la fois. La première partie de cet article a été consacrée à la relation ambiguë entre le bó et le vodoun. Dans cette deuxième partie, il est question de  la pertinence scientifique du bó.  Le bó ou ogoun, est-il un objet de sciences ou de croyance ?

 

Le bó entre mythe et réalité

Au Bénin et en Afrique, le bô ou ogoun est une pratiques sociale assez populaire. Pourtant, une question taraude toujours tous les esprits modernes: le bó ou ogoun est-il un mythe ou une réalité. Les avis sont très partagés, il faut le dire. Pour ses adeptes, le bó est une force du domaine surnaturel et non physique, capable du meilleur et du pire. Ils y croient fermement et le considèrent comme un vecteur de sécurité et d’épanouissement personnel ou collectif. Aussi, conjointement aux prières et dévotions à l’éternel Dieu de leur cœur, ils font aussi appel au bó. Certains fanatiques y voient même une force d’appoint  à la puissance  divine. “Douter de Dieu, c’est y croire“ a dit Blaise Pascal. Cependant, il y a ceux qui n’y voient qu’une pratique primitive basée sur la mystification et l’escroquerie. 

Quoi qu’il en soit, le bó existe de tout temps et même si son efficacité peut  être sujet à caution, son existence, quant à elle, ne fait aucun doute. Tantôt porte bonheur, tantôt porte malheur, il n’est donc, en soi, ni mauvais ni bon. C’est l’intention de ses usagers qui détermine son orientation positive ou négative. Ce n’est pas la faute du couteau si quelqu’un opte de le prendre pour poignarder son prochain. Le couteau n’en est pour rien, le crime est rendu possible par l’exploitation de ses caractéristiques intrinsèques. Par identification du couteau avec le bó, le bien comme le mal venant du bó sont liés aux caractéristiques intrinsèques ambivalentes du bó. Quelles sont donc les caractéristiques propres sur lesquelles se fonde l’action réelle ou supposée du bó? L’objectif, ici, est de chercher à appréhender la nature de la force réelle  du bó à partir de ses caractéristiques. Force réelle ou pure mystification, le bó ou ogoun, est-il un objet de sciences ou de croyance ?

Quelques prouesses du domaine du bó ou ogoun

De tous temps, les opinions publiques béninoises et africaines prêtent au bó, aux botô et aux vodounon,  des pouvoirs  qui sont de véritables prouesses scientifiques. Cependant, ces dits pouvoirs sont difficilement conceptualisables et ne peuvent donc être considérés comme des connaissances scientifiques d’un point de vue moderne. Pour preuve, voici trois exemples parmi la multitude de faits avérés ou allégués du domaine du bó que chacun pourra apprécier à sa manière.

Exemple 1

Le 03-04-2018, sur la chaine béninoise, Golf TV Africa, un spiritualiste bien connu, visiblement très éclairé sur la question de la sorcellerie, a déclaré que la vitesse de déplacement des sorciers, Azétô,  dans l’espace est telle que 45 secondes suffisent pour atteindre une cible à Paris et une minute 30 secondes pour atteindre New-York. Question : comment y parviennent-ils ? Hypothèse : ils ont une recette pour se déplacer à une vitesse supérieure à celle du son; Ou bien, ils sont capables de rendre les distances plus courtes par une nouvelle théorie de relativité. Sans expérimentation, difficile à dire pour un non initié. Avis : si de tels déplacements sont possibles,  peuvent-ils servir à faire de la messagerie postale ou du renseignement par exemple au profit des Etats et armées africaines ? Belle façon de positiver diront plus d’un !

Exemple 2 

Une capacité très largement reconnue aux botô et médium béninois est celle de  provoquer des pluies ou des décharges électriques localement ciblées ou de les retenir. Question : comment y parviennent-ils ? Avis : Plusieurs études ont été réalisées sur la question, sans la clarifier. Mais en postulant que ces dites capacités sont réelles, peuvent-elles contribuer à lutter contre les sécheresses qui dévastent des régions entières sur le continent ?  Le doute est permis.

Exemple 3

Au Bénin, l’arme mystique ou « tchakatou »  est une réalité souvent évoquée et terriblement redoutée car elle fait entrer mystérieusement dans le corps de la victime, des tessons de verres, des clous rouillés  et autres objets dangereux. Question : comment ces objets macroscopiques ont pu pénétrer dans le corps de la victime à son insu? Remarque : si l’agression est mystique, la délivrance elle, est faite devant témoins. Les tradithérapeutes procèdent sans inciser à l’extraction de tous les corps étrangers qui souillent l’organisme. Selon plusieurs témoins crédibles ayant assisté à ces opérations chirurgicales, c’est un moment impressionnant et émouvant. Avis : en postulant que ces dites capacités sont avérées et possèdent une base scientifique, ces traditérapeutes qui parviennent à opérer sans inciser et extraire des corps étrangers à un organisme, avaient-ils  déjà la solution du laser avant la lettre ? Trop beau pour être vrai, dirons plus d’uns.

Et que dire de ces nombreux tradithérapeutes ou botô qui seraient capables  de se rendre invisible et accomplir une tâche vérifiable, de disparaître d’un véhicule en cours d’accident et de réapparaître indemne quelques mètres plus loin, de se transformer en animal, de récolter de l’eau dans un panier, etc.

Dans quels registres des sciences modernes peut-on ranger toutes ces prouesses supposées? Quelle est la part du vrai, quelle est la part du faux dans toutes ces assertions ? Et pourquoi ne sont-elles pas librement  accessibles à tous? Difficile à dire. En réalité, on trouve, en effet, autant de témoignages qui attestent ces dites capacités que ceux qui les relativisent.

 

Le bó, objet de sciences ou de croyance

Il faut admettre que beaucoup de savoir-faire avérés relevant  du domaine du bó ne donnent aucune idée ni de leur principe ni de leur mode d’action. Sciences ou magie, l’observateur indépendant reste  partagé face aux capacités présumées du bó ou ogoun. La question se pose donc de savoir si le bó ou ogoun est un objet de science ou de croyance ?

Pour mémoire, rappelons que le bó est constitué de deux parties ; une partie matérielle et une partie immatérielle qui est l’incantation. Dans la tradition du bó, le bogbé ou l’incantation magique  est une association de mots qui possède un sens. Il a pour but d’invoquer une entité spirituelle, un pouvoir transcendant (vodoun ou autre) pour  accomplir l’intention bénéfique ou maléfique visée. Les divinités souvent évoquée sont: Lègba, Ogou, Hebioso, Sakpata etc.  Ainsi, pour les adeptes du bó, le bogbé ou l’incantation magique a un fonctionnement mystérieux, inaccessible à la raison humaine.  Son pouvoir est lié au pouvoir intrinsèque des mots ésotériques qui le compose et dont les vibrations qu’il déclenche lors de sa prononciation à voix haute est en lien avec des entités spirituelles occultes, vodoun ou non. De ce point de vue, le bogbé a une valeur dogmatique ou hypnotique basée sur la foi du botô. Ainsi pour ses adeptes et sympathisants, le bó relève du domaine de la croyance.

Mais à contrario, pour les chercheurs modernes attachés aux valeurs des sciences expérimentales, le bogbé ne correspond qu’à ce qu’en psychologie on  appelle une « affirmation positive » : c’est-à-dire une formule orale, qui une fois prononcée, est enregistrée par notre subconscient qui se  reprogramme  et le transforme petit à petit en réalité

Vu sous cet angle, le bogbé ou incantation magique  n’aurait qu’une valeur de pouvoir d’auto-suggestion ou d’effet placebo et que chaque être possède naturellement. L’essentiel du pouvoir du bó ou ogoun résiderait alors dans sa composante matérielle. En conséquence, pour les afro-positivistes, le bó ou ogoun serait plutôt un  objet de science et non de croyance. Mais aussitôt les afro-négativistes soulèvent des réserves de principes contre la conception  scientifiques du bó.  Ils font observer que le bó n’est ni  reproductible ni expérimental et donc qu’il n’est pas rationnel. Des arguments, somme toute, valables, il faut le reconnaître.

En effet, dans son acception moderne, la science interroge le monde réel à l’aide d’expériences. Le seul critère qui l’oriente est la recherche de la vérité comme adéquation au réel, une vérité capable de résister à l’expérimentation. Pour la science donc, l’unique préoccupation, c’est la vérité, c’est-à-dire les faits et non les valeurs. La vérité scientifique doit s’imposer à tout moment par son évidence ou par sa cohérence. Elle exige donc, pour être crédible, que les faits soient reproductibles et puissent se vérifier expérimentalement. Autrement, le fait relève de l’alchimie, de la métaphysique ou de croyance religieuse. Et justement, le bó ou ogoun, comme la majorité des savoirs endogènes en Afrique, pèchent par le déficit d’expérimentation. Faute de conceptualisation, ils sont difficilement reproductibles et donc pas compatibles avec les sciences modernes.

Et pourtant, c’est la science !

Pourtant, malgré la conception de croyance des adeptes du bó et les réserves de principe des afro-négativistes, les arguments en faveur d’une conception scientifique du bó l’emportent largement. La persistance et la dissémination du bó ou ogoun dans les sociétés actuelles est, en soi, une preuve de sa reproductibilité dans le temps et dans l’espace. Par ailleurs, le bó comme on le sait, est formé d’une partie matérielle et d’une partie immatérielle. La grande inconnue de l’équation qui mérite réflexion est  la nature ambiguë du composant immatériel, le bogbé ou l’incantation.

De mon point de vue, si le bogbé ou l’incantation magique se suffisait à lui tout seul pour produire l’effet escompté, alors, sans ambages, on conclurait à l’action d’entités spirituelles. Ceci nous plongerait d’office dans le champ de croyance et de religion. Or ce n’est pas le cas. Par contre, la partie matérielle du bó est composée de plantes et de minéraux qui possèdent chacun des vertus merveilleuses. Une combinaison des ces deux matières peut, à elle seule, produire des résultats prodigieux en chimie comme en physique.

Ainsi, en faisant abstraction de sa composante immatérielle, la composante matérielle du bó, à elle toute seule, peut produire un résultat plus ou moins merveilleux. L’action de l’incantation, la composante immatérielle, peut alors s’analyser comme un « catalyseur physique »  de nature vibratoire ou ondulatoire.  Tout comme les catalyseurs chimiques, l’incantation accompagne ou accélère la réaction de formation du bó sans entrer dans les produits de la réaction.

Cette interprétation nouvelle que je formule comme hypothèse a le mérite de placer le bó de plain pied dans le champ scientifique. L’essentiel du pouvoir du bó ou ogoun résiderait alors dans sa composante matérielle.  Cette hypothèse donne surtout une vision nouvelle sur la théorie dogmatique de l’incantation. La référence à l’intervention des esprits ou des vodoun apparaîtrait comme  une compréhension erronée d’un phénomène intelligible de nature vibratoire non identifiée. Les esprits en question étant des entités invisibles, ils sont, a priori, de nature vibratoire. Ceci explique donc cela. On peut également y voir une raison de l’amalgame entre incantations et vodoun.  Dans tous les cas, elle offre un point de convergence entre vision dogmatique et d’affirmation positive de l’incantation. Il ne restera plus qu’à clarifier le mode d’action des vibrations de l’incantation pour donner au bó ces lettres de noblesse scientifique. L’objectif terminal est de pouvoir établir, d’une manière ou d’une autre, la responsabilité humaine. Dans un tel contexte, nous somme donc face à une nouvelle forme de rationalité qu’il convient de clarifier. Cette clarification apportera une meilleur compréhension du bó ou ogoun et son exploitation plus féconde et plus bénéfique à  l’humanité.

Naturellement une telle vision sera peu appréciée des botô car c’est le bogbé, l’incantation qui fait du bó, une science occulte.  Mais que l’on attribue une valeur dogmatique, d’auto-suggestion ou de catalyseur à l’incantation, son utilisation reste universelle et intemporelle. De toute évidence, les botô maîtrisent parfaitement des  recettes pour capter les différentes formes de vibrations et d’énergies qui existent dans l’univers.  Mieux, ils parviennent à contrôler ces dernières pour agir positivement ou négativement sur les êtres et sur les choses. Ce qui est moins sûr, c’est la conceptualisation et le degré d’universalité de ces recettes. A mon avis,  le déficit de l’écriture explique en partie l’opacité qui entourent ces pratiques jusqu’à nos jours.

Quoi qu’on dise, le continent regorge de phénomènes inaccessibles à la rationalité occidentale à l’état actuel des choses. On observe plusieurs phénomènes  pas reproductibles à loisir et pourtant qu’on ne saurait balayer du revers de la main. Il y a une réalité, je dirais une rationalité nouvelle  qui ne manque pas d’intérêt dans les nombreux concepts scientifiques de l’Afrique ancestrale et qui gagnerait en crédibilité si elle parvenait à être clarifiée. 

Toutefois, trop de concepts non clarifiés sont véhiculés sur le continent. Ils sont exploités par certains pour faire peur à leur semblables ou pour faire  du business.  Le difficile est que  ceci se passe dans l’indifférence  totale aussi bien des adeptes du bó, que des pouvoirs publics.  Comment faire pour fixer les africains sur les potentialités réelles des savoir-faire endogènes? A défaut d’études sérieuses ou des symposiums sur le sujet, la question reste partout ouverte. Mais c’est la responsabilité des pouvoir publics de faire du bó, non seulement une valeur culturelle, mais aussi une valeur scientifique au service de l’humanité.

 

Le défi d’un renouveau scientifique

Quel africain ne serait pas fier de voir que des savoirs endogènes africains sont conceptualisés et offrent des applications utilisées par des millions de personnes à travers le monde ? Bien sûr, ceci ne sera possible que si les savoirs endogènes sont rendus compatibles avec les normes modernes. Or actuellement, sur le terrain la situation est loin des standards modernes.

D’un coté, les spécialistes des savoirs endogènes maîtrisent les secrets de fabrication des bó sans pouvoir expliquer rationnellement les concepts qui les sous-tendent. De l’autre, les élites scientifiques du continent ont les capacités nécessaires pour expliquer rationnellement les phénomènes, mais ne maîtrisent pas les secrets de fabrication. Pris isolément, les bótô végètent dans une opacité qu’ils revendiquent magique, tandis que les elites scientifiques excellent dans la répétition savante, mais stérile, de protocoles dépassés. Dans ce contexte, chaque camp possédant ce qui   manque à l’autre, la coopération est donc l’unique voie du salut. Le génie africain, actuellement à l’état de larve, ne se révélera que dans le champ de coopération de ces deux corps d’élites. Les opportunités d’innovations ont une probabilité plus forte dans les champs d’interaction des savoirs endogènes et des méthodologies modernes. Les universités africaines sont donc le lieu, par excellence, de cette coopération.  Ils doivent donc devenir des incubateurs géants où les savoirs endogènes seront fécondés par les méthodologies des sciences expérimentales.

Pour l’heure, aucune théorie n’a tenté de conceptualiser l’ensemble des connaissances relatives au bó ou plus communément le gri-gri.  Nulle part, on ne note d’initiatives pour élaborer un système de propositions et d’hypothèses cohérents, pour documenter la fabrication du bó ou ogoun, son mécanisme d’action, ses domaines d’application et ses contre indications sans, pour autant, divulguer le secret de fabrication qui resterait l’apanage des bokonon et botô. Malheureusement, les adeptes des savoirs endogènes: les botô, les marabouts, les guérisseurs, etc. sont majoritairement non lettrés. Chacun d’eux à des connaissances empiriques sur des savoirs-faire avec des méthodes souvent gardées secrètes. Du coup l’harmonisation des concepts entre eux, en vue de dégager des consensus ou des théories, est difficilement réalisable. Pas facile non plus la correspondance entre leurs préceptes et les théories scientifiques modernes

En conclusion, le vodoun est une religion et à ce titre est d’inspiration divine. Le bó est une réalisation humaine dont la vocation première est  d’aider l’individu dans ses aspirations. Certes, il est aussi par incidence, objet de nuisance. Produit de la Nature et de la culture, sa responsabilité ne saurait incomber à des esprits ou des vodoun. Que ce soit pour le bien ou pour le mal, la responsabilité humaine doit être établie á tous les niveaux. Toutefois il implique encore une forte dose d’irrationnel au regard des sciences modernes.  Il importe de clarifier et de conceptualiser son principe et son mode d’action. Cet effort contribuera à rendre aussi intelligibles que possibles les rapports de l’homme avec la Nature ou avec ses semblables. A l’ère de la mondialisation, la société africaine n’a  aucun intérêt à entretenir des concepts ambigus.  Si un concept est avéré, il mérite qu’on s’y intéresse pour sonder les applications positives qu’on peut y tirer au profit de l’humanité. Dans le cas contraire, cela doit se savoir afin qu’il ne  serve de caution aux vendeurs d’illusions. Le défi est de parvenir  à inscrire dans un corpus de savoir universel, le fond de savoir pur et réel sur lequel se fonde l’action du bó ou ogoun pour le bien ou le mal dont il est présumé capable .

Agbadje Adebayo Babatounde charles A. Q.


A suivre bientôt :  Au Bénin, la peur du bó ou ogoun : les versets sataniques du vodoun ? troisième partie


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UNION-AFRICAINE – ETATS UNIS D’AFRIQUE : RÊVE BRISÉ OU RÊVE ÉVEILLÉ?

Mot d'order a la création des Etats Unis d'Afrique

 

Entre Maximalistes et minimaliste, l’idéal de l’unité des Etats d’Afrique s’est brisé en 1963, avec la naissance de l’OUA.
De toute évidence, l’Afrique n’en serait pas là, si, en 1963, elle avait sauté le pas des Etats-Unis d’Afrique.
Comment apprécier les différents processus, actuellement, en cours à l’Union Africaine?
A quand les Etats-Unis d’Afrique?  Le rêve est-il encore permis ?

 

Entre rêve brisé et rêve éveillé

Le panafricanisme, mouvement à la fois philosophico-racial, culturel et politique, avait pour objectif ultime de pouvoir réunir les peuples noirs du monde entier dans un seul grand ensemble, pour établir un pays et un gouvernement. Après la deuxième guerre mondiale, les différents congrès panafricains qui se sont succédé et les mouvements d’indépendance nationale ont favorisé l’émergence d’un mouvement panafricaniste sur le continent et dont le leader le plus charismatique a été le Ghanéen Kwame Nkrumah.

Le mouvement panafricaniste engrangera quelques victoires politiques avec l’accession au pouvoir de 33 Etats présents à Addis-Abeba les 22 et 23 mai 1963 lors du premier sommet des chefs d’Etat qui consacrera L’OUA. En prélude à ce sommet, Kwame Nkrumah publia son livre : « l’Afrique doit s’unir » en guise de mot d’ordre à la création des Etats-Unis d’Afrique. Dans sa vision, l’unité politique, économique et militaire est la condition majeure pour relever le défi que pose la balkanisation de l’Afrique et sa domination par les puissances de la conférence de Berlin. Malheureusement, sur les 33 chefs d’Etat présent au sommet d’Adiss-Abebe, la majorité a opté pour une union à minima avec la mise sur pied de  l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), pour parvenir dans une marche graduelle aux Etats-Unis d’Afrique.

Seulement, voila plus de 50 ans que dure cette marche et de plus en plus d’africains pensent que demain n’est pas la veille. Le rêve semble glisser vers la chimère.

Le ver est dans le fruit

Pour le philosophe togolais, Victor Kouassi Gnassounou, Il y a anguille sous roche. Dans le décryptage qu’il a très volontiers accepté de faire, les arguments ne manquent pas pour étayer sa thèse.

philosophe et pannafricaniste« De l’unité des Etats africains à l’unité des peuples d’Afrique ? Une vue de l’esprit,  au regard de la réalité de la vie quotidienne en Afrique,  aujourd’hui, plus d’un demi-siècle après les indépendances ; vie quotidienne dont l’horizon est la lutte pour la survie.

Évoquons le péché originel du panafricanisme. L’axe réfractaire à une unification politique réelle de l’Afrique, c’est l’axe Monrovia-Abidjan-Lagos-Brazzaville-Tananarive. Cet axe va se densifier jusqu’à comporter 20 pays sous la dénomination du Groupe de Brazzaville[1]. En face, le Groupe de Casablanca ne fait pas véritablement contrepoids, et ses intentions panafricanistes n’étaient pas dénuées d’arrière-pensées  inavouables. L’impensé du Groupe de Casablanca, c’est l’évidence de l’ancrage des Etats du Maghreb dans le monde arabe, et pour le roi du Maroc, une tentation expansionniste vers le Sud de Sahara.  Le ver est dans le fruit : L’idée d’une unification des mondes (peuples) arabo-berbères et négro-africains cheminait dès le départ, comme  une incongruité et reposait sur  la mythologie d’une Afrique une et indivisible, culturellement unifiée[2]. La conférence de Monrovia signe formellement la mort du rêve panafricaniste (12 mai 1961), incarné de façon emblématique par le Dr Nkrumah et la figure légendaire de Patrice Lumumba. Que d’embûches ont malmené l’idée panafricaniste, cette « communauté d’espérances » au cœur des luttes anticolonialistes : voir l’Afrique totalement libre, et singulièrement, arracher les peuples noirs à l’abjection du colonialisme et de l’impérialisme!  Les ambiguïtés et les divergences idéologiques,   la trahison de certains fils d’Afrique, qui se trouvent bien dans  leur condition de vassal ont provoqué « le déraillement du panafricanisme, vers l’OUA » (Michel Kounou[3]). Sur l’instigation de Mouammar  Kadhafi, l’UA verra le jour le 21 mai 2001 à Addis-Abeba, prenant le relais de l’OUA, en tant que prélude à la constitution des Etats-Unis d’Afrique. Est-ce enfin, une remise, sur les bons rails de l’idéal panafricaniste, de l’unité des Etats d’Afrique ?

Les premiers dirigeants africains sont des gouverneurs noirs. Rien n’a donc changé avec les indépendances. Ceux actuels sont aussi en majorité  le bourreau impénitent des populations, manieurs, non sans talent, de la rhétorique de la démocratie,  gage dérisoire mais suffisant, pour donner bonne conscience à leurs suzerains.

Enfin, comment mettre en œuvre les Etats-Unis d’Afrique, si en dépit de ses atouts naturels et humains, l’Afrique géo-stratégiquement reste le terrain de jeu des Grandes puissances, le lieu d’affrontement des impérialistes de vielle souche (France Angleterre, les E.U …) et  les  nouveaux émergents (Chine, Inde, Turquie…) ? Rien ne se décide , réellement, entre les élites africaines, consacrant l’extraversion de la vie politique, économique des Etats africains, qui, en réalité, malgré les indépendances, continuent de fonctionner comme des comptoirs coloniaux, c’est-à-dire, des installations commerciales sous les tropiques, mais appartenant à des entreprises privées ou publiques des métropoles coloniales ou impériales.

Pour pasticher Michelet, nous voulons partager la conviction que malgré tout, ce sont les peuples  d’Afrique, sans bruits ni fureurs,  qui feront l’Afrique, par un long travail intellectuel, scientifique, technique,  culturel, spirituel, moral, de soi sur soi, indépendamment  des hypothétiques calculs proportionnels entre les crimes coloniaux et les réparations escomptés par les post-coloniaux, au nom de la justice. »

En somme, cette ultime conviction plutôt optimiste du philosophe est une lueur d’espoir, puisqu’elle voudrait dire que le rêve est encore permis. Mais au delà du rêve, le combat pour l’Afrique, c’est d’abord un combat pour une prise de conscience de la nécessité de marquer notre présence au monde. Un combat difficile, de longue haleine, mais surtout un combat de tous. Chaque africain doit être conscient qu’il porte en lui les espoirs de ce renouveau.

 

 

[1] Le Cameroun, le Congo Brazzaville, la Côte d’ivoire, le Dahomey, l’Ethiopie, le Gabon, la Haute Volta, le Libéria, La Libye, Madagascar, la Mauritanie, le Niger, la République Centrafricaine, le Sénégal, la Sierra Leone, la Somalie, le Tchad

[2] Quand Moustapha Niasse affirme, en marge du dialogue inter-libyen du 11 mai 2018 à Dakar que « les Libyens sont africains autant que les Africains sont des libyens », c’est à nos yeux, la dernière livraison de cette rhétorique de la consanguinité qui n’est rien d’autre qu’une manière de se payer de mots ! On passe un peu trop vite aux profits et pertes le marché des esclaves négro-africains qui bat son plein, actuellement, en Libye. Sans oublier, ce n’est qu’une digression apparente,  les 43000 esclaves noirs en Mauritanie. Et le racisme endémique anti Noir du monde maghrébin ?

[3] Michel KOUNOU, Le Panafricanisme : de la crise à la renaissance. Une stratégie globale de reconstruction effective pour le troisième millénaire. Yaoundé, éd. Clé, 2007.

[4] L’étonnant, c’est la monstrueuse mue d’authentiques leaders démocratiques, révolutionnaires, combattants des droits de l’homme, une fois qu’ils accèdent a pouvoir.


Union Africaine : De l’union des Etats à l’union des peuples africains

 

Rêvé par les pères du panafricanisme, prôné par les élites africaines, magnifié par les artistes et ardemment souhaité par les peuples africains, le projet du gouvernement de l’union africaine prend peu à peu corps sous la houlette de l’Union Africaine.  Malheureusement, dans cette ambitieuse aventure de l’union des peuples, les opinions publiques africaines n’ont pas eu leur mot à dire. Cette mutation, bien que rêvée par tous, se mène au niveau étatique sans aucune consultation des populations, de ce qu’elles aimeraient que l’organisation en soit. Sommet après sommet, l’adoption des textes s’enchaînent et nous enchaînent, petit à petit, dans une union qui, même si elle sera source d’opportunités certaines pour les uns et les autres, ne sera pas non plus exempte de frictions ou de tensions diverses – comme c’est souvent le cas en Afrique du Sud.

En effet, malgré le tapage médiatique qu’on observe en Europe contre l’immigration en provenance du sud, seuls 13,4 % des migrants comptabilisés dans le monde en 2015 sont africains. Par ailleurs, plus de 80 %  d’entre eux sont restés sur le continent pour simplement passer dans un pays voisin du leur. Ainsi ce type de migration est elle d’abord intra-africaine : les grands pôles d’immigration sont Durban, Abidjan, Lagos, Libreville, Nairobi et Tripoli, et, à un degré moindre, à peu près toutes les mégapoles du continent.

Cependant, il faut le reconnaître, le regard sur l’étranger africain n’est pas le même partout. Chaque nation, chaque communauté ne pense pas toujours quelque chose de très amène sur les autres, et inversement. Ceci est la preuve qu’il existe encore quantité de préjugés et de stéréotypes entre les peuples des différents pays africains. Ces perceptions, souvent excessives, parfois erronées mais toujours caricaturales, sont devenues des clichés qui se propagent dans les sociétés africaines et que plusieurs personnes considèrent, de bonne foi, comme vrais. Ces idées trop nombreuses dans nos sociétés constituent de sérieux blocages qui limitent l’ouverture à l’autre et donc à l’intégration.

Au delà du fait d’appartenir  à un même continent, quel contenu philosophique ou politique faut-il donner à l’identité africaine ? Autrement dit, quelle est la doctrine ou l’ensemble des valeurs cardinales qui consacrent l’union et opposables à tous les pouvoirs publics que devraient partager les africains de tous les pays ? Quel type de société nous engageons nous tous, collectivement, à mettre en place ? Bref, quel est le “ trait d’union’’, comment fabrique un “consensus des peuples africains’’? A défaut de réponses formelles, chaque peuple a sa petite idée sur la question et ce n’est point un secret que les avis des citoyens africains sont tout à fait différents selon qu’on soit au Nord, au Sud, à l’ouest, à l’Est ou au centre du continent.

Comment passer idéalement et objectivement de l’union des Etats à à une union des peuples africains?  Ou, mieux, comment relever le défi de construction de l’union africaine par l’intégration harmonieuse des peuples ?

Pour creuser la question, trois intellectuels panafricanistes de la capitale gabonaise se prononcent.

 

Philosophe et panafricaniste
Mr Victor Gnassounou

Mr Victor Kouassi Gnassounou 

Philosophe et panafricaniste

 

 

« De l’unité des Etats africains à l’unité des peuples d’Afrique ? C’est une vue de l’esprit,  au regard de la réalité de la vie quotidienne en Afrique, vie quotidienne dont l’horizon est la lutte pour la survie. La problématique de l’intégration africaine  appelle à un exercice tout aussi sophistiqué que dérisoire, dévolu à une élite africaine potiche, au diapason des intérêts des puissances impérialistes d’hier et d’aujourd’hui. Des peuples, peu lui importe! Ce serait “un désert de leadership“ selon l’expression de Wangari Maathaui.

Pour  de nombreux peuples, le thème du panafricanisme représente aujourd’hui une écharde dans la chair de leur rêve : une Afrique debout, libre, prise en considération dans le concert des nations de la planète ! Peuples humiliés, en colère ; la tentation du pire n’est jamais loin, dont la métaphore est  la haine du frère contre le frère (la xénophobie, le tribalisme, le racisme, et dans les cas extrêmes, le génocide, et douloureuse survivance l’esclavage).

Pour mémoire, rappelons que le destin de l’idéal panafricaniste s’est joué à travers les déboires de l’OUA puis de l’Union Africaine qui a pris le relais de l’OUA, en tant que prélude à la constitution des Etats-Unis d’Afrique. Pour revenir à notre problématique, mettons ce reprofilage de l’idéal panafricaniste à l’épreuve de la réalité des pouvoirs africains. Leur principe autoritaire les configure comme des  fabriques sociale et institutionnelle de la soumission des populations africaines. Très justement, le politiste camerounais Achille Mbembe fait observer que « les sociétés post-coloniales portent les stigmates de la violence et de la contrainte exercées par les Noirs eux-mêmes sur leurs propres frères ».

Dans une telle configuration, quelle société civile ? Les dynamiques porteuses de la citoyenneté sont encore balbutiantes. Difficile de discerner, dans la réalité politique africaine, les mécanismes présidant à l’émergence de l’Etat, de la nation, de la citoyenneté, et des peuples. Une fois établi le constat des faiblesses structurelles des bases d’édification des Etats africains, quelles perspectives réelles pourraient ouvrir le projet d’une intégration africaine ? N’est-ce pas mettre la charrue avant les bœufs ?

Les premiers dirigeants africains sont des gouverneurs noirs. Rien n’a donc changé depuis les indépendances. Les classes dirigeantes qui se succèdent continuent presque  toute d’alimenter une iconographie qui forgera, pour plusieurs  générations à venir, une image déprimante de l’Afrique. Aucun effort pédagogique n’est fait au niveau des Etats africains pour partager la pertinence et la nécessité d’emprunter la voie de la compréhension et de la coopération entre les peuples africains. L’esclavage, même résiduel, en Mauritanie, fait tache sur le continent. Idem pour le génocide rwandais, les tragédies en cours au Soudan de sud, à l’Est de la RDC, dans le Sahel, la chasse aux Noirs dans certains Etats africains, etc.

Les peuples qui font les Etats et les nations sont des foules éduquées. Une ère des foules n’augure rien de bon : c’est une masse impulsive, moutonnière, irrationnelle, violente qui trouve dans le tribalisme, et surtout la xénophobie des exutoires à ses misères et ses frustrations.

Enfin, comment mettre en œuvre l’intégration africaine si, en dépit de ses atouts naturels et humains, l’Afrique reste géo-stratégiquement le terrain de jeu des grandes puissances, le lieu d’affrontement des impérialistes de vielle souche (France Angleterre, les E.U …) et des nouveaux émergents (Chine, Inde, Turquie…) ? Rien ne se décide, réellement, entre les élites africaines. Malgré les indépendances, les vies politique et économique des Etats africains continuent en réalité de fonctionner comme des comptoirs coloniaux : elles ressemblent à des installations commerciales installées sous les tropiques, mais appartenant aux entreprises des métropoles coloniales ou impériales. Pour pasticher Michelet, nous voulons partager la conviction que malgré tout, ce sont les peuples  d’Afrique, sans bruit ni fureur, qui feront l’Afrique. Par un long travail intellectuel, scientifique, technique, culturel, spirituel, moral, de soi sur soi, et indépendamment  des hypothétiques calculs proportionnels entre les crimes coloniaux et les réparations escomptés par les post-coloniaux, au nom de la justice, ils la construiront. »

 

 

Biologiste et panafricaniste
Mme Henriette AKELE

Mme Henriette AKELE ONDO

Biologiste et panafricaniste

 

 

« Pour réussir l’union des peuples africains par l’union des Etats, pour ma part, deux points essentiels sont à tenir en compte :

  • Un consensus politique élargi
  • Et une prise de conscience des peuples.

La prise de décision sur un projet de cette envergure doit passer, dans l’idéal, par un consensus politique plus large que le cadre étatique actuel. Pour une caution démocratique plus forte, une consultation populaire ou un référendum serait souhaitable. Une telle consultation du peuple – dont je présume que l’avis favorable sera majoritaire – présente, à mon avis, deux gros avantages. D’une part elle devient une pression sur l’agenda des politiques qui seront contraints de quitter la valse-hésitation actuelle pour fixer un chronogramme raisonnable de construction de l’union. D’autre part, comme l’a justement fait observer Nelson Mandela, « Tout ce qui est fait pour nous, sans nous, est contre nous. » Par cette consultation, le peuple désormais acteur de la mise en œuvre de l’union va y adhérer avec plus de foi et d’engagement, gages d’une union forte et féconde. Toute feuille de route qui ferait fi de cette exigence conduirait, à mon avis, à un accord factice. Et celui-ci serait source de contestation et de remise en cause futures.

Ne nous voilons pas la face, le projet d’une union politique africaine vraie et opérationnelle contrarie plusieurs intérêts, aussi bien internes qu’externes au continent. Aussi, quoi qu’on dise, les obstacles seront nombreux tout au long du processus, qu’ils soient réels ou artificiels. Chaque gouvernement a donc un devoir de pédagogie pour éduquer et sensibiliser son peuple, afin de susciter une prise de conscience en eux, ce que j’appelle la révolution intérieure et que le feu OMAR BONGO appelait «le changement de mentalité.»

En effet, les problèmes qui minent les peuples noirs africains empêchent une véritable cohésion au sein du continent. La course au privilège a fait de l’africain un être sans compassion et égocentrique. Celui-ci n’entretient envers son frère que des rapports basés sur le profit, la ruse et l’exploitation. Cette ambition, démesurée, l’a amené à fouler aux pieds les valeurs africaines : le respect, la compassion, le droit d’aînesse, la solidarité,  l’hospitalité, la probité… Cette situation engendre des frustrations, la colère, la méfiance et la non acceptation de l’autre. La prise de conscience des africains que la nécessité d’une union politique contribuera à lever les pesanteurs essentielles du continent est vivement souhaitée. »

 

Philosophe et africaniste
Mr Celestin AGBENOUVON

Mr Celestin Fiagan Agbenouvon

Philosophe et panafricaniste

 

 

« L’Afrique est un continent dont la totalité des Etats a connu la colonisation de pays européens avec des méthodes diverses et variées. C’est pourquoi le problème de l’immigration intra-africaine est difficilement perceptible au-delà de toutes les manipulations excessives et erronées des médias occidentaux.  L’Afrique est une, certes, mais plurielle à bien des égards. Pour une union politique effective et féconde, il faut des objectifs clairs, des critères clairs et une volonté claire de ses membres de donner corps et esprit à cet engagement.

D’abord, les États africains et en particulier les classes politiques doivent jouer franc-jeu avec leurs populations en organisant des émissions et dialogues public. Cela permettra de leur faire comprendre les bienfaits de l’union des peuples africains. Toute population aspire au mieux-être, c’est pourquoi l’UA doit opter pour une gestion des États en fédération plus ou moins autonomes, comme dans certains grands États anglophones.
Ensuite, une politique vraie d’union des peuples africains doit envisager l’effectivité des mouvements des populations africaines dans un  » ESPACE SANS VISA ». Ceci de manière organisée, sûre et légale (sans difficultés), pour la libre-circulation des personnes et des biens. »

Avoir en partage un même continent, voire une même population, ne peuvent être les fondements d’une politique pour l’union des peuples africains. Seules les valeurs communes sont le fondement d’une politique et les valeurs sur lesquelles repose l’UA sont, pour le moins, claires au niveau des peuples africains.

L’union pour l’union n’a aucun sens. Aucune communauté ne voudra d’une union dans laquelle elle estime avoir plus à perdre qu’à gagner, ni d’une union où elle nourrit des appréhensions contre d’autres communautés. Il importe donc d’impliquer les peuples dans les réflexion en cours pour révéler tout le potentiel d’une Union Africaine et permettre l’appropriation de modèles sociaux propres à sa construction. »