Centrafrique, la moitié de la solution est : exit Djotodia

11 décembre 2013

Centrafrique, la moitié de la solution est : exit Djotodia

michel-djotodia

Depuis le coup d’Etat du 24 mars 2013 par les rebelles de la Seleka contre le président Bozizé,  le pays s’enfonce dans une crise politique, sécuritaire et humanitaire. La menace de  génocide est évoquée par Washington et Paris et depuis ce lundi 9 décembre 2013 une intervention de la France en appui à la Misca sous mandat de l’ONU a démarré.  Mais dans l’écheveau politicocommunautaire qu’est aujourd’hui la Centrafrique, l’intervention militaire pour désarmer les milices ne serait, à mon avis, qu’une moitié de la solution à la crise. Djotodia incarne une autre partie du problème et son départ ouvrirait la voie à une véritable pacification du pays.

 

Depuis son indépendance le 13 août 1960, pas moins de cinq coups d’Etat sont venus interrompre un processus démocratique normal et chaque coup d’Etat a charrié son cortège de crises. Suite au dernier coup d’Etat , aux tensions territoriales et politiques viennent s’ajouter les rivalités ethniques et confessionnelles de plus en plus marquées.

Aujourd’hui victime de la violence des milices, la population n’a pas fini de payer le prix de l’irresponsabilité et de l’incurie de ses politiques. Une fois encore la communauté internationale va aider la Centrafrique à se réconcilier avec elle-même et dès quelle aura le dos tourné, rebelote. On reprend les mêmes et on recommence comme c’est le cas depuis un demi-siècle.

Le  jeudi 5 décembre 2013,  le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une résolution autorisant la France à intervenir militairement au côté de la Misca, une force composée de soldats africains de plusieurs pays opérant en Centrafrique, dans le but de rétablir l’ordre et de stabiliser le pays. Le texte prévoit également un embargo sur les armes.

Ce même jeudi, à Bangui, la situation sécuritaire déjà très délétère depuis des mois s’est fortement dégradée aux premières heures de la journée. Des éléments des milices d’autodéfense anti-balakas hostile au régime de la transition appuyés par d’anciens militaires fidèles à l’ex-président François Bozizé ont mené plusieurs attaques. Cinquante-quatre cadavres ont été retrouvés alignés dans une mosquée. Une cinquantaine de corps ont été recensés à la morgue de l’un des hôpitaux de la ville, et de nombreux autres cadavres jonchent les rues de la capitale, selon l’envoyé spécial de France 2, Nicolas Bertrand.

2999192

Au total, du jeudi au lundi plus de 400 personnes ont été tuées par balles et armes blanches dans les rues de Bangui selon la Croix-Rouge, une situation aussi chaotique qu’absurde.

Face à la dégradation subite de la situation, la France a décidé d’augmenter son contingent qui passe de 800 à 1 600 hommes. Ainsi, depuis le lundi 9 décembre, ce sont 1 600 militaires français qui sont déployés en République centrafricaine (opération baptisée Sangaris), en appui à la Misca (2 500 soldats) pour désarmer toutes les milices. Les Etats-Unis vont mettre à disposition des appareils de transport C-17 pour convoyer des renforts de troupes africaines en Centrafrique à la suite d’une demande d’assistance de la France, a indiqué ce même lundi le Pentagone. Un désarmement qui ne va pas sans difficulté, car les factions désarmées devenant les victimes des factions non encore désarmées ou de la vindicte populaire. Une situation bien embarrassante pour les militaires français.

Mon analyse est que la recrudescence des pillages, des massacres interconfessionnels et l’anarchie constatées ces derniers jours sont l’oeuvre de hordes de hors- la-loi mécontents de voir leur chef installé au pouvoir et d’être, eux, laissés pour compte.

Quelle différence y a-t-il, en effet, entre Michel Djotodia ou le général Moussa Assimeh un chef de guerre de l’ex-Seleka, venu du Darfour et qui reçoit fièrement dans les locaux du commissariat central de Bangui et les hors-la-loi qui forment la Seleka et sèment la mort et dépeuple  le pays ? La réponse est bien simple : les premiers sont hors du besoin, nourris, blanchis et protégés aux frais de la reine, alors que les autres sont livrés à eux- mêmes et se payent sur la bête. C’est donc dire que si Djotodia et consorts aussi n’avaient plus cette protection, ils se livreraient,  eux aussi,  aux mêmes exactions que leurs éléments. Il n’a pas gagné ses galons à la Seleka pour ses oeuvres de charité à ce qu’on sache.

D’ailleurs, devant  tout le désordre et le discrédit engendré par ses ex- alliés, au lieu de se démettre du pouvoir, il achète plutôt le silence des victimes centrafricaines à coup de millions de francs Cfa et la bienveillance de la communauté internationale en annonçant, par exemple, des négociations avec le chef de la LRA Joseph Kony qui serait disposé à renoncer au combat. Une information que personne n’a d’ailleurs prise au sérieux. Il est peut-être temps pour lui de tirer les conséquences de son aventure à la tête du pays puisqu’il n’est plus l’homme de la situation.

A Bangui, actuellement, tout le monde a peur car si vous exprimez une opinion différente de celle de Michel Djotodia personne ne donnera cher votre peau. Dans ces conditions, je pense que Djotodia fait partie du problème et non de la solution. Et si tel est le cas, il faut que les instances autorisées fassent le diagnostic afin que des solutions idoines puissent être prises. C’est ce déficit de cohérence qui est la base de tant de problèmes en Afrique.

Le problème avec nous les Africains est que quand les crises éclatent, on connaît les tenants et les aboutissants, mais la méthodologie de résolution souvent adoptée ne permet pas d’appeler un chat un chat. Non, on ne peut pas dire à un grand qu’il a tort parce que c’est avant tout le grand. De même, on ne doit pas dire à un petit qu’il a raison parce que c’est après tout le petit. Mais, on enchaîne les tables rondes, les forums, les réunions, les apartés pour tenter de concilier la chèvre et le chou. Des formules creuses sont trouvées pour dire sans le dire au grand qu’il a tort et au petit qu’il a raison. En fin de compte tout le monde reste frustré et ce qui devrait arriver arrive. La chèvre broute allègrement le chou, oubliant au passage qu’il était vénéneux. Conclusion, la crise s’installe et échappe à tout contrôle. Tout le monde alors s’étonne que la chèvre n’a pas tenu parole. On lui a pourtant parlé, on a été très clair avec lui, mais il n’en fait qu’a sa tête, patati patata.

Ainsi, il en va aujourd’hui du conflit centrafricain et souvenez-vous, ainsi avait été le cas du conflit malien et avant lui du conflit ivoirien et ainsi de suite. On s’efforce d’éteindre les incendies sans rien dire aux pyromanes.

Aujourd’hui, la communauté internationale se penche sur le cas centrafricain avec une focalisation africaine. Tout est mis en œuvre pour mettre hors d’état de nuire les membres de la Seleka et les anti-Balakas sans piper mot du parrain de la Seleka. Face à cette situation délétère et implosive, tout le monde condamne la nébuleuse Seleka; mais personne ne pointe du doigt la position ambiguë du président de la transition. Ni la Cemac, ni l’Union africaine ni les Nations unies ne font cas de lui.

Mais depuis que les Français sont à la manette et surtout depuis qu’ils sont seuls à mettre la main au portefeuille et à payer de leur vie la paix des autres, ils ne jugent plus opportun de s’embarrasser de l’hypocrisie des Africains.

Dans l’entretien qu’il a accordé samedi 7 décembre à RFI, France 24 et TV5 Monde, à l’issue du Sommet de l’Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique, le président François Hollande a déclaré : « On ne peut pas laisser en place un président qui n’a rien pu faire et qui a même laissé faire ». Une façon claire, de dire que Djotodia fait partie du problème. Mais non seulement cet avis n’a été relayé par aucun autre chef d’Etat africain, mais c’est Djotodia lui-même qui l’a commenté à son propre profit.

Michel Djotodia, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, dit avoir eu des explications des autorités françaises selon lesquelles la France ne venait pas remplacer qui que ce soit. Et qu’il s’agissait juste de demander une transition plus courte que l’échéance de février 2015 prévue initialement.

« C’est des allégations pures et simples, le président français n’a jamais dit cela… J’ai reçu un message personnel, par l’ambassade de France ici, qui dit que le président français me soutient et soutient la transition. La seule chose, la petite modification qui a eu lieu, c’est que la transition a été écourtée. La France est claire à ce sujet, elle ne vient pas pour remplacer qui que ce soit, elle ne vient pas pour perturber la transition, mais elle vient pour soutenir ce processus qui est déjà en place, pour que d’ici peu de temps, qu’il y ait un ordre constitutionnel en Centrafrique ».

Est-ce de la naïveté ou du cynisme ? Difficile à dire.  Sinon à voir  l’émotion des dirigeants africains face à la photo de Mandela au sommet de l’Elysée à Paris, on est curieux de savoir quel héritage de Mandela compte à leurs yeux par rapport à leur pays ?

En Centrafrique, par exemple, sous Bozizé, le peuple n’avait pas à manger, mais il était libre d’aller et venir. Aujourd’hui sous Djotodia, il n’a toujours pas à manger, mais les communautés s’entretuent par la faute des assaillants dont il est le parrain légal. A quoi bon finalement aura servi le changement de régime si les conditions de vie du peuple deviennent pires que ce qu’elles étaient. Dans ces conditions, pourquoi s’accommoder de la présence au pouvoir d’un homme qui pose problème ?

Quel intérêt y a-t-il,  aujourd’hui, pour le peuple centrafricain à ce que Djotodia soit à la tête du pays ?

De quel mérite Djotodia lui-même peut-il aujourd’hui se prévaloir pour demander son maintien à la tête de l’Etat ?

Quelle considération peut conduire à soutenir le maintien à la tête de l’Etat de Djotodia ?

Quelle gêne peut-il y avoir encore à appeler un chat un chat et demander à Djotodia, au nom de l’intérêt supérieur du pays de se démettre du pouvoir ?

«L’ambition dont on n’a pas le talent est un crime», disait Chateaubriand dans son œuvre, « Mémoire d’outre-tombe ».  De ce point de vue, à voir tout le désordre ou  le chaos dans lequel son coup d’Etat a plongé aujourd’hui la Centrafrique, on est obligé d’admettre que Djotodia est criminel à plusieurs titres, car volontairement ou involontairement  comptable de toutes les exactions et dérives observées aujourd’hui en Centrafrique.

Le commentaire de Djotodia sur les propos de François Hollande n’est qu’un arrangement avec la réalité. C’est peut-être une façon de prêcher le faux avec l’espoir que le peuple va mordre à l’appât. Mais ce sera peine perdue car : “changement de régime“ le mot est lâché et quoi qu’on dise, le début de la fin a commencé pour lui. Mais hélas, une fois encore, ce ne sera pas un destin voulu par l’Afrique des officiels, mais un destin subi qui ne nous honore pas.

Partagez

Commentaires